Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans leur cœur une larme pour toute noble infortune, une émotion de respect pour toute gloire vaincue, un écho d’attendrissement pour toute destinée tranchée dans sa fleur. Puisque la poésie politique exige comme toute autre un genre particulier d’inspiration qui est un don de naissance et ne peut se commander, qu’aurait gagné Alfred de Musset à désobéir à sa nature, et qu’aurions-nous gagné nous-mêmes à cette désobéissance ? Le poète que nous connaissons eût certainement été moins parfait, sans que rien, puisse nous assurer que le poète que nous ne connaissons pas se fût jamais élevé au-dessus de la médiocrité.

Non-seulement le reproche n’est pas sérieux, mais il ne frappe pas avec exactitude. Bien qu’il ait écrit dans cette fameuse préface du Spectacle dans un fauteuil qu’il ne craignait pas l’âge

Où les opinions deviennent un remords,


Alfred de Musset avait parfaitement des opinions, et ces opinions, loin d’être en rien contraires à l’esprit de son époque, y étaient entièrement conformes. Voyons plutôt. Par ses origines, Musset appartenait à l’ancienne noblesse provinciale ; je demande aux survivans encore si nombreux de sa génération, à ses confrères en littérature et en art, si dans leurs relations avec lui, il y a jamais eu quelque chose qui leur ait rappelé cette origine ; je demande à ses innombrables lecteurs si l’idée leur est jamais venue d’y songer en le lisant. De tout ce qu’une telle origine traîne d’ordinaire après elle, Alfred de Musset n’avait rien retenu, si ce n’est le goût de la vie élégante et le sentiment du plaisir. Comme l’Hassan de son poème de Namouna qui, à beaucoup d’égards, peut passer pour son portrait, il avait jeté lestement à la mer tout ce qui pouvait gêner son siècle, et par suite le gêner lui-même. Ce que nous disons d’Alfred de Musset pouvait également se dire de son frère Paul, esprit sage et calme, en qu’on ne surprit jamais rien qui ne fût libéral. C’est à leur père. Musset-Pathay, lettré imbu des doctrines du XVIIIe siècle, — il fut un des commentateurs de Jean-Jacques ». — que les deux frères, devaient ce détachement du passé. Ce père leur donna en même temps l’enthousiasme de Napoléon, qu’il avait servi dans les rangs administratifs ; les premières pages de la Confession. d’un enfant du siècle nous disent avec éloquence combien ce culte fut ardent chez Alfred de Musset pendant l’enfance et l’adolescence. Entré dans la vie à la fin de restauration, on ne voit pas qu’il ait, éprouvé la moindre sympathie, pour ce gouvernement, et l’esprit des Contes d’Espagne nous dit assez, que s’il appartenait à ce moment, à un parti quelconque, c’est au parti des