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On semble croire que la fabrication industrielle a le droit d’être protégée et qu’on doit livrer à la concurrence étrangère l’industrie culturale, parce que cette dernière jouit des forces productives soi-disant gratuites du sol qualifiées de rente de la terre, terme obscur et contestable qui ne détermine rien de précis. Loin d’être en partie gratuite, la production agricole exige de grands capitaux et donne moins de bénéfices que l’industrie proprement dite. Comme la Fortune de La Fontaine :

La terre aussi nous vend ce qu’on croit qu’elle donne.


VII

On se livrait autrefois, dans les châteaux, à un jeu innocent, mais fort indiscret, qui consistait à demander à chacun : « Laquelle de deux personnes indiquées voudriez-vous sauver avec vous dans un naufrage, si vous étiez absolument forcée de choisir ? — Je sauverais ma mère, et je me noierais avec ma belle-mère ; » répondait une jeune femme, fort spirituelle sans doute. Mais, dans le dilemme économique présent, il faut répondre sans hésitation que nous voulons être sauvés ou périr tous ensemble avec l’agriculture notre mère aussi bien qu’avec l’industrie notre belle-mère.

L’égalité économique dans le travail, quelle qu’en soit la forme, dans la bonne ou dans la mauvaise fortune, quelles qu’en soient les chances, c’est, là le vrai terrain de la lutte, du débat ou de la conciliation.

On ne s’entend pas sur les intérêts économiques ; entendons-nous sur le terrain de l’égalité devant la loi. Ce sera un principe supérieur qui fournira à. la fois un point de départ ou d’appui solide, et un excellent fil conducteur avec lequel on ne se trompera pas et on ne trompera personne.

Aux théories absolues, fragiles dans leur raideur, substituons de simples et honnêtes applications pratiques et contingentes. Qu’on rende la législation douanière conforme à l’égalité adoptée ailleurs comme base de nos institutions.

Pourquoi infliger plus longtemps aux classes rurales une injuste inégalité sans compensations ? Rappelons qu’aujourd’hui, entre la protection industrielle et l’écrasante concurrence alimentaire libre, la différence reste bien grande. Supposons que le tarif protecteur représente, pour l’industrie, une plus-value de 20 ou 30 pour 100, le même tarif impose aux agriculteurs par la concurrence agricole universelle et par la cherté de mille produits protégés, une moins-value de 10 à 20 pour 100. Cette différence établit un écart de 40