Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un, font une somme déboursée de 750 millions de francs en or[1]. Grâce à la rapidité et au bon marché croissant des transports, ils en importeraient encore à plus bas prix et bien davantage à la première occasion.

De telles opérations apporteront directement une gêne redoutable dans la culture à tous ses degrés. Que l’ensemble du pays paraisse assez riche pour supporter facilement ce gros déboursé, nous ne disons pas non mais ceux qui forment la grande catégorie agricole n’en restent pas moins gravement appauvris ; la richesse des autres ne les enrichit guère.

On répond aussi que cette situation est exceptionnelle, que l’exportation se détournera vers la Chine, que la fertilité du Nouveau-Monde s’épuisera, sans préjudice d’autres considérations également faibles. Il est fort à croire que nous verrons tout le contraire se produire pendant de longues années, car les États-Unis contiennent d’immenses espaces et de non moins immenses propriétés où le sol sera cultivé sans engrais et sans loyer, longtemps encore, avant d’être épuisé.

De plus, les Canadiens affirment publiquement à qui veut l’entendre, que leur système de canalisation du Saint-Laurent est complet et que dans cinq ou six ans au plus leur réseau de chemins de fer sera terminé, de sorte qu’ils pourront, eux aussi, exploiter 100 millions d’hectares de terre fertile et nous apporter du blé à 10 francs l’hectolitre[2].

Quant à la Chine et à d’autres parties de l’extrême Orient, elles n’ont pas d’argent disponible pour acheter le blé américain, même en temps de famine, et ne possèdent pas davantage de produits industriels à exporter en échange ; en eussent-elles qu’elles trouveraient comme nous porte close.

On nous répète : Abandonnez la culture du blé, faites autre chose ; élevez du bétail. Mais le bétail américain et canadien arrive déjà ou arrivera bientôt pour écraser le nôtre. Cultivez la vigne. Mais l’apparition du phylloxéra a complètement retourné la situation : au lieu d’exporter des vins, la France en importe maintenant. En 1880, l’importation des vins a été de 283 millions et demi de francs et l’exportation de 224 millions et demi de francs seulement[3]. La production vinicole est tombée de 50 millions à 30 millions d’hectolitres.

À ces conseils peu judicieux la réponse est que, pour une grande

  1. Journal des Économistes, décembre 1880.
  2. Rapports et Discours à la société des agriculteurs de France, par M. Perrault, délégué du Canada. (Séance du 24 février 1881.)
  3. Journal d’agriculture pratique, 24 février.