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ne discuter ces questions qu’au point de vue le plus élevé, sans doute, mais sans quitter le terrain pratique.

Les agronomes comme les économistes ne reconnaissent-ils pas-que dans maintes contrées la grande culture est indispensable ? Les esprits chagrins l’admettent, mais à la condition de supprimer les grands domaines, de les morceler, puis de les recomposait par voie d’association. C’est bien compliqué. Pourvu que le sol donna le plus de produite possible et que la possession en soit libre et accessible pour tout le monde, pourquoi ne pas laisser aux intérêts privés le soin de modifier ou de conserver l’état de choses présent ?

L’association agricole n’a pas encore réussi, que nous sachions, dans les essais tentés jusqu’ici, et la grande ou la moyenne propriété foncière de nos jours n’ont plus rien de féodal ni d’oppressif.

Il ne s’agit nullement devant la douane d’une compétition, entre la grande et la petite propriété, les intérêts de l’une et de l’autre sont identiques et solidaires dans cette question de tarifs et de concurrence intérieure avec l’industrie favorisée.

Comment donc se risquer à compromettre les intérêts évidens de huit millions de propriétaires, la plupart parcellaires, compris dans une population agricole de plus de vingt-deux millions d’âmes, pour faire pièce à quelques centaines de grands propriétaires français et à quelques milliers de gros fermiers ?

De l’autre côté de l’Atlantique, ce ne sont pas seulement les petits propriétaires américains qui profitent des grosses importations dont nous sommes préoccupés, ce sont aussi bien les grands propriétaires de l’ouest des États-Unis, entrepreneurs des plus grandes cultures du monde et possesseurs de domaines de 20, 30 et 100,000 hectares d’un seul tenant, plus vastes que les seigneuries du moyen âge. Leurs champs de blé montrent des sillons de 30 kilomètres de long, et les troupeaux de chacun comptent de 30 à 90,000 têtes de gros bétail. Aussi affirme-t-on que les anciens états atlantiques des États-Unis souffrent relativement autant que l’Europe de la concurrence agricole de l’Ouest.

La grande propriété de France paraît ici hors de cause ; on l’attaque pourtant au sujet de ce qu’on croit être son point faible, sur le fermage. Le fermage, voilà l’ennemi, semble-t-on dire ; c’est cette forme de contrat et d’exploitation du sol qui cause seule la gêne de l’agriculture française ; supprimez le fermage, tout ira bien.

C’est là ce qu’il serait bon d’examiner de près. Sans prétendre que le fermage soit partout la plus belle des institutions, on peut avancer que c’est une combinaison utile et féconde qui a fait ses preuves. Sous ce régime, une partie notable de l’agriculture a