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fermages sont trop élevés ; les mêmes symptômes ne se rencontrent pas parmi les petits et moyens propriétaires.

L’élévation du prix des fermages n’est pas la vraie cause qui décourage les fermiers ; ce prix représente pour les propriétaires un intérêt de 2 à 2 1/2 pour 100 de leur capital foncier ; le fermage ne saurait donc être taxé d’exagération ni sensiblement diminué. Ce serait bien plutôt dans la rareté de la main-d’œuvre et des capitaux que se trouveraient les vraies difficultés privées.

Les cultivateurs propriétaires ne sont pas moins atteints ; seulement on s’en aperçoit moins parce qu’ils ne peuvent pas quitter leurs propriétés ; ils y sont rivés, ce n’est pas le moment de vendre, ils sont obligés d’y vivre tant bien que mal, et pourtant l’on affirme que, dans beaucoup de localités, la moitié des propriétés moyennes sont en vente ; tandis que le fermier peut s’en aller à la fin du bail ou résilier même quand sa situation devient par trop difficile.

Ce n’est ni pour leur plaisir, ni pour chagriner leurs propriétaires ou le gouvernement que les fermiers et agriculteurs de toute catégorie se plaignent et se retirent de la culture autant qu’ils le peuvent. Jusqu’à la hausse des salaires, concordant avec l’apparition des grandes importations américaines, la carrière agricole était en faveur. Et remarquons que, dans ces dernières années, jamais le prix moyen du blé n’est descendu à 18 francs. Qu’on avance que l’effet produit par les importations américaines est utile et favorable au plus grand nombre par le bon marché de l’existence, rien de mieux ; c’est une thèse soutenable et un bon terrain de discussion. Chacun pourra y répondre par des argumens bons ou mauvais ; mais comment admettre un instant cette affirmation que l’influence et les conséquences des importations alimentaires des États-Unis sont chimériques et de nul effet sur l’agriculture européenne, « et que les craintes que l’on exprime à ce sujet sont absolument vaines ? » Sans être un pessimiste, on peut affirmer au contraire, croyons-nous, que l’immense développement industriel, commercial et agricole des États-Unis va troubler notablement l’équilibre économique du monde moderne. Ce n’est pas sans motif que M. de La Tréhonnais, dans le Journal d’agriculture, cite cette conclusion de la conférence de M. Head : « On ne saurait douter que l’Amérique ne réussisse bientôt à accomplir le programme qu’elle s’est proposé et qui consiste à nourrir le monde entier et à se vêtir elle-même[1]. »

M. Barral, secrétaire perpétuel de la Société nationale d’agriculture de France, directeur du Journal d’agriculture, publie un intéressant rapport sur la Société agricole et foncière des États-Unis,

  1. Journal d’agriculture du 30 avril 1881.