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baissera jusqu’à 18 francs, et au-dessous peut-être, ce qui n’est-pas improbable ?

Dans les Annales agronomiques, publiées sous les auspices du ministère de l’agriculture et du commerce, nous trouvons, signé par M. Dubost, un substantiel et intéressant article intitulé le Spectre américain, article fort optimiste, qui ne saurait être taxé d’esprit d’opposition, puisque ce recueil a des attaches semi-officielles ou officieuses tout au moins. Nous y lisons, à propos des craintes d’effondrement des cours et de la ruine de l’agriculture européenne, que « nous n’avons rien à redouter de pareil… » « Supposons un instant que, par le fait des importations croissantes des États-Unis, le prix du blé descende en France et en Angleterre à 18 francs l’hectolitre. Le prix moyen du blé étant aujourd’hui en France de 22 francs et la production de 100 millions d’hectolitres, la perte apparente pour nos cultivateurs serait de 400 millions de francs. En réalité, la perte serait moindre, l’agriculture ne livrant au commerce que les trois cinquièmes environ de sa production de blé et consommant le surplus. Le déficit dans les recettes de nos exploitations ne s’élèverait donc qu’à 250 millions de francs… Admettons toutefois une perte sèche de 400 millions de francs. Ce serait assurément une cause de gêne pour nos cultivateurs, mais ce ne serait pas la ruine, 400 millions ne représentant que le vingtième environ de notre production agricole, qui est de 7 1/2 à 8 milliards de francs. Nos cultivateurs seraient gênés sans doute ; ceux du Far-West américain seraient ruinés[1]. » À ces assertions, on peut opposer plus d’une objection.

Premièrement, ce chiffre de 8 milliards s’applique à la production totale de l’agriculture française ; la production spéciale du blé n’est que de 3 milliards environ. Ensuite beaucoup d’agronomes, de publicistes et de voyageurs affirment que, sans cesser d’être rémunérateur, le prix du blé aux États-Unis peut descendre beaucoup plus bas qu’on ne l’avoue généralement, et que le prix de 18 francs sur les marchés français ne serait pas ruineux pour les Américains.

Adoptons cependant les chiures indiqués par M. Dubost. Il n’y a pas d’exagération à craindre, puisqu’on ne parle ici ni du bétail ni des viandes importées. Répondons d’abord à un argument de détail. Si une perte sèche de 400 millions est si peu de chose pour une production agricole de 7 à 8 milliards, un surcroît de dépenses de 400 millions devrait être tout aussi peu de chose assurément pour une consommation de 7 à 8 milliards. Pourquoi donc

  1. Annales agronomiques, décembre 1880, page 575.