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aventures qu’on lui prêtait. Le véritable auteur de ces drôleries de mauvais aloi s’appelait La Battue. C’était un garçon de piètre tournure, d’une santé souvent compromise, ivre de bruit, et qui rêvait sérieusement cette basse popularité des rues qu’il recherchait sans pouvoir l’obtenir. Fils naturel d’un Anglais très riche, presque abandonné dès sa naissance, élevé à la diable tantôt par une femme qui s’occupait peu de lui, tantôt par un garde-chasse qui, moyennant bon pourboire, lui avait donné son nom, il avait traîné dans la paresse, le désœuvrement et l’ignorance jusqu’à l’heure de sa majorité. Son père se souvint de lui au moment de mourir et lui laissa une centaine de mille livres de rente. Il résolut d’employer cette fortune à se faire un nom. Il loua des salles de concert pour y donner des bals, il fit des chevauchées magnifiques à travers Paris, il se battit à coups de poings dans les cabarets des barrières, il donna des chasses à courre, — une fanfare porte encore son nom ; — il jeta de l’argent au peuple, il habilla ses maîtresses en odalisques ou en Albanaises et les promena dans Paris, en voiture découverte, au son des trompes pendant le jour, à la lueur des torches pendant la nuit ; quand, à force de sottises et de vaniteuses niaiseries, il avait amassé la foule autour de lui, il prêtait l’oreille et entendait crier : « Vive milord l’Arsouille ! » c’est-à-dire : « Vive lord Seymour ! » Il en pleurait de rage. Pour rendre toute confusion impossible, il fit pendant le carnaval et à la mi-carême des distributions d’argent par les fenêtres mêmes de l’appartement qu’il occupait au coin du boulevard et de la rue de la Paix ; de cette façon, il était certain de n’être plus pris pour Seymour, qui demeurait boulevard des Italiens, au-dessus du Café de Paris. On crut à un stratagème dont on ne fut pas dupe ; le peuple se disait : « Il a loué un appartement pour n’être pas reconnu, » et de plus belle on criait : « Vive lord Seymour ! » La Battue était poussé dans cette voie pitoyable par un de ses amis que je ne nommerai pas, car il a été pair de France, qui lui disait : « Courage ! on finira par vous rendre justice. » L’heure de la justice ne sonnait pas. Plus La Battue faisait de sottises, plus lord Seymour devenait célèbre. La légende était faite, et ce que je raconte aujourd’hui n’y portera pas atteinte. Le pauvre homme se sentit vaincu jusque dans ses moelles par l’indifférence de la foule ; malgré la gloire que lui montraient en perspective ses familiers intéressés à ne pas lui voir abandonner la partie, il se découragea. Il prit en déplaisance cette ville qui ne savait même pas reconnaître le vrai mérite ; il partit pour l’Italie, s’échoua à Naples, où il mourut de désespoir, de consomption et du reste.

Il y en eut plus d’un de la sorte dans les premières années du règne de Louis-Philippe ; ce que l’on dépensa misérablement de