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peu connue encore et qui ne fut révélée que longtemps après. Quoique ce fait ne touche en rien aux choses littéraires, je crois devoir le raconter ici, car il eut sur notre histoire une influence considérable, le coup d’état qui devait avorter au mois de juillet 1830 avait été arrêté en principe entre le foi, le prince de Polignac et le maréchal de Bourmont, avant l’expédition d’Alger, et l’on avait décidé que les ordonnances ne seraient promulguées que si nous infligions une défaite aux Barbaresques. Dans ce cas, le maréchal de Bourmont, rappelé à Paris avec une partie de l’armée victorieuse, devait être chargé des opérations militaires qu’un soulèvement probable de la population pouvait rendre nécessaires. Avant de partir pour Toulon, où l’attendait la flotte française, le maréchal avait fait promettre au prince de Polignac de ne rien entreprendre avant son retour, et pour être certain que nulle tentative ne serait essayée pendant son absence, il lui avait abandonné l’intérim du ministère de la guerre dont il avait le portefeuille. Néanmoins, malgré ces précautions, malgré les engagemens échangés, on n’attendit pas son retour et l’on se hâta vers un dénoûment qui eut le résultat que l’on sait.

L’homme sérieux du ministère était M. d’Haussez, ministre de la marine ; il ne répudiait pas les ordonnances qui, seules, selon lui, pouvaient sauver les prérogatives royales attaquées par l’opposition, mais il demandait si l’on était en mesure de les imposer à la population parisienne, dans le cas où celle-ci refuserait de s’y soumettre. Le prince de Polignac répondit qu’il était certain du succès et qu’il n’y avait point à se préoccuper des moyens d’exécution. M. d’Haussez insista et exigea communication des états militaires. Le chiure de la garnison de Paris, porté sur ces états, était de onze mille hommes, desquels on devait déduire trois mille cinq cents absens par congé, par maladie, ou employés dans les administrations. Il restait donc sept mille cinq cents hommes, sur lesquels trois mille soldats de ligne n’inspiraient qu’une confiance limitée. M. d’Haussez se récria et déclara que ce serait folie de tenter l’aventure avec des forces aussi insuffisantes. Le prince de Polignac répliqua que, pour des motifs qu’il ne pouvait faire connaître, mais que le roi n’ignorait pas, il ne lui était permis d’avoir aucun doute sur le résultat de l’entreprise et qu’il était résolu à jouer la partie, quand bien même il n’y aurait pas un soldat dans Paris ; il ajouta que sa résolution était inébranlable et basée sur un événement supérieur aux raisonnemens humains. Charles X fit un geste approbatif de la tête et dit : « Cela est vrai ! » Cette parole était un ordre ; M. d’Haussez ne fit plus d’objection.

Quel était donc ce fait extraordinaire qui détruisait les calculs