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centenaire, mais il n’en est plus à compter les révolutions auxquelles il a assisté. La passion de France de Caen avait été plus clairvoyante que la raison de mon aïeule. Un an ne s’était pas écoulé que le vieux roi, escorté de sa maison militaire, s’était embarqué à Cherbourg pour aller chercher une tombe loin de sa patrie, donnant un démenti à Béranger lui-même, qui avait chanté :

Nous sommes en dix-neuf cent trente
Et les Barbons rognent toujours !


II. — L’ECOLE.

Lorsque Louis XVIII revint en France, après les cent jours, le duc d’Otrante lui remit un mémoire dans lequel on lit : « On peut concevoir pour l’avenir une conspiration infaillible et dont les desseins ne pourraient être prévenus, ni arrêtés. Ce serait celle d’un ministère ou d’un parti de la cour, qui, par l’erreur la plus grossière ou par un aveugle dévoûment à la cause royale, conseillerait ou favoriserait un plan de contre-révolution. Tout plan de cette nature renverserait de nouveau le trône avec fracas et détruirait peut-être jusqu’à nos dernières espérances, la dynastie de nos rois. » Ce mémoire est daté du mois d’août 1815 ; Fouché avait été bon prophète : la prédiction venait de s’accomplir[1]. On a dit de la révolution de juillet qu’il n’y en eut pas de plus légitime ; soit, je veux l’admettre, mais on conviendra qu’il n’y en eut pas de plus impolitique. Elle rejeta la France dans la voie des aventures où l’on peut, il est vrai, rencontrer le salut, mais où il est plus facile de trouver sa perte. Si l’on eût accepté le retrait des ordonnances qui entraînait la chute du ministère Polignac et la soumission du vieux roi, la France continuait paisiblement l’apprentissage de la liberté, si pénible, si périlleux dans notre pays, et nous en serions sans doute arrivés aujourd’hui au fonctionnement régulier du mode représentatif où l’Angleterre a développé tant de gloire et de sécurité. Au lieu de cela, nous avons oscillé entre le despotisme et la licence ; nous nous sommes plusieurs fois transportés brutalement d’un pôle à l’autre de la politique et nous avons attendu de la fortune ce que notre raison, — ce que notre déraison, — n’a pas su nous donner. Expériences inutiles qui sont toujours à recommencer et produisent toujours les mêmes déceptions. A trop souvent changer de matelas, dit un proverbe, on finit par coucher par terre.

La révolution de juillet eut une cause déterminante très étrange,

  1. Rapport au roi sur la situation et mémoire présentés au roi par le duc d’Otrante, page 38. Août 1815, Paris.