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commencé dans un pays où tout est nouveau. Pour le moment, cette crise de la Bulgarie prouve qu’il est plus aisé à un congrès de décréter des indépendances que de les faire vivre, et que, si c’est la politique de l’Europe d’encourager, de favoriser l’avènement des nationalités nouvelles en Orient, il peut y avoir quelque péril à aller trop vite. On risque de compromettre l’avenir de ces populations mêmes auxquelles on s’intéresse et de se préparer des difficultés, de jeter des semences de guerre là où l’on croyait travailler pour la paix, objet des vœux de l’Europe.

Il y a heureusement, dans les affaires des peuples, des événemens bien venus qui sont comme les aimables intermèdes de la politique : témoin ce récent mariage qui vient d’être célébré à Vienne entre la jeune princesse Stéphanie de Belgique et le prince impérial d’Autriche, l’archiduc Rodolphe. Chose curieuse ! près d’un siècle s’est écoulé depuis que la domination impériale a disparu de Bruxelles. La Belgique a passé par plus d’une révolution ; elle est devenue un royaume indépendant sous la direction du sage roi Léopold Ier et elle n’a fait que s’affermir dans sa libérale existence sous le règne du second souverain, qui a hérité de la sagesse de son père. Aujourd’hui, par une fortune nouvelle, une princesse du jeune royaume s’allie à l’héritier de la vieille maison de Habsbourg, elle est appelée à porter la double couronne d’Autriche et de Hongrie. Tout semble heureux et souriant dans ce mariage, auquel prennent part avec une singulière spontanéité deux nations, celle qui donne la fille de son roi et celle qui reçoit une nouvelle archiduchesse. Avant son départ de Bruxelles, la princesse Stéphanie a été l’objet des manifestations les plus empressées et les plus touchantes de la population belge ; à Vienne, elle a été accueillie avec une effusion joyeuse par toute une ville hospitalière et aimable, où la maison impériale a gardé sa popularité, où l’empereur François-Joseph, faisant ouvrir les portes de ses jardins de Schœnbrunn, a pu dire : « Je veux être au milieu de mes bons Viennois. » Tout le monde, à ce qu’il semble, a voulu contribuer à l’éclat de ces fêtes rehaussées par la présence des princes étrangers et par les pompes traditionnelles d’une des plus vieilles cours de l’Europe aussi bien que par la joie publique. Ce qu’il y a de frappant, c’est d’abord, si l’on veut, la sincérité du sentiment public qui s’est produit à Vienne sur le passage des princes, autour de ces cortèges impériaux et royaux qui sont allés défiler au Prater ; c’est aussi, on en conviendra, le caractère particulier de ces manifestations où toute une population est confondue et où la police est absolument absente. La police ne se montre pas, elle est en congé dans ces jours de fête. Voilà un phénomène singulier ! Tout cela n’est peut-être pas sans quelque signification. Sans doute l’empereur François-Joseph est populaire et respecté ; depuis plus de trente ans, il