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de vous faire connaître en quelques mots l’origine, le caractère, les intentions, les projets et la fin, de telle sorte que vous teniez en main jusqu’aux moindres fils de l’intrigue émouvante qui va s’engager, se compliquer et se dénouer devant vous. C’est ainsi qu’un livre se suffit à soi-même et que, pour le comprendre, on n’a pas besoin du secours de toute une bibliothèque, en cela bien différent de la plupart des livres qui se publient aujourd’hui comme livres d’histoire, livres impertinens, j’ose le dire, dont les auteurs, ou les compilateurs, supposent le lecteur au courant de tout ce qu’ils ont eux-mêmes appris la veille ou l’avant-veille, en vérité comme si l’incompréhensibilité d’une prose était la mesure de sa valeur et qu’un livre désormais fût réputé d’autant plus savant qu’il est accessible à moins de gens. On ne fera pas ce reproche à M. Lair. Peut-être même trouvera-t-on que l’abondance des détails va plutôt dans l’excès et déborde un peu le cadre, si fermement tracé pourtant, de la composition. Pour ma part, je n’ai pas vu très clairement pourquoi l’auteur avait, par exemple, consacré presque tout un chapitre à raconter et mettre en scène la mort de Madame Henriette. Je n’en saisis pas la liaison avec l’histoire de Mlle de la Vallière[1]. Mais au lieu de nous appesantir sur un rien, terminons plutôt en louant notre auteur d’une chose par-dessus toutes les autres, je veux dire d’avoir prouvé que, pour renouveler les questions que tout le monde croit connaître, il n’est pas tant besoin de documens inédits. Là pour nous, — l’intérêt particulier du sujet mis à part, — est le véritable intérêt, l’intérêt général en quelque sorte de ce livre sur Louise de La Vallière et la Jeunesse de Louis XIV. Nous l’avons dit et nous aurons plus d’une fois encore l’occasion de le redire : il est bon que l’on publie des documens inédits, mais, en attendant, si l’on s’occupait un peu plus de porter l’ordre, la lumière, et le secours d’une bonne critique dans cet énorme amas de documens imprimés qui font plier sous leur poids les rayons de nos bibliothèques, est-ce que l’on croit que l’on rendrait un moindre service à l’histoire ?


F. BRUNETIERE.

  1. A ce propos, et puisqu’outre ce chapitre, M. Lair a cru de voir consacrer un court appendice à la discussion du problème que soulève la mort de Madame, on regrettera qu’il ait omis de toucher quelques mots de l’argumentation sur laquelle M. Littré, jadis, traitant la question en érudit à la fois et en médecin, a cru devoir conclure à la mort naturelle.