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marquis de Vardes, elle résolut de fabriquer une lettre que l’on traduirait en espagnol pour donner le change sur la provenance, et qui ferait savoir à la reine l’infidélité du roi. Marie-Thérèse était jalouse, Olympe le savait bien, elle qui la première avait été dans le ménage royal une occasion de plaintes. Si la lettre était remise en temps opportun, il en pouvait sortir un scandale qui chasserait La Vallière de la cour. En quel lieu Louis XIV alors pourrait-il bien mettre sa maîtresse en sûreté ? chez Mme de Soissons, sans doute, qui la gouvernerait selon son caprice et son intérêt. La lettre ne parvint pas jusqu’à la reine ; une femme de chambre espagnole, confidente intime des deux reines, l’intercepta, prit sur elle de l’ouvrir et, l’ayant lue, la remit à la reine mère, qui lui donna l’ordre de la communiquer au roi. Coïncidence assurément bizarre, lorsqu’il en eut pris connaissance et reçu la très déplaisante impression que l’on peut deviner, c’est à Vardes que le roi s’adressa pour l’aider à pénétrer ce mystère. Vardes aussitôt accusa la duchesse de Navailles, la plus honnête femme de la cour, comme le duc en était le plus honnête homme. Se peut-on tirer plus galamment d’affaire ? Tel était René-François du Bec-Crespin, marquis de Vardes. Quand il mourut, — en 1688, — Mme de Sévigné le regretta fort, « n’y ayant plus à la cour d’homme bâti sur ce modèle-là. »

La comtesse de Soissons cependant ne pouvait pas demeurer sur cet échec. Elle attendit, intrigua, manœuvra, se flatta d’écarter La Vallière en tournant un moment la fantaisie du roi vers Mlle de La Mothe-Houdancourt et quand elle vit que le changement, bien loin d’opérer, ne réussissait qu’à ramener Louis XIV vers une habitude plus ancienne et plus douce, vers une affection plus sincère, elle prit le parti de demander à la reine une audience dans le parloir des petites carmélites, et là, de lui tout déclarer. Il est pénible de trouver Madame Henriette mêlée de sa personne à cette vilaine négociation.

Louis XIV cette fois dut plier. Il tira donc Mlle de La Vallière du service de Madame, auquel elle était toujours attachée, pour la loger à l’hôtel Biron, l’un des plus beaux du faubourg Saint-Germain, ont dit les uns, au palais Brion, ont dit les autres ; — au vrai, nous apprend M. Lair, dans un modeste pavillon, de 12 toises de long sur 4 toises de large, dans le jardin du Palais-Royal, une simple « folie, » comme on dira plus tard un humble « vide-bouteilles, » comme on disait en ce temps-là, rien de plus. Elle y vécut « fort retirée, nous dit un contemporain, sans sortir, vêtue toujours d’un grand manteau de chambre : » c’est qu’elle était enceinte alors et près de mettre au monde un enfant qui naquit le 19 décembre 1663 et qui fut inscrit sur les registres de Saint-Leu, sous le nom de Charles, fils de M. de Lincourt et de damoiselle Elisabeth de Beux. Les pièces publiées par M. P. Clément dans les Lettres, instructions et mémoires de Colbert établissent péremptoirement la fausseté d’un récit romanesque qui s’est soutenu jusqu’à nous.