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la cour unanimement conspira pour traverser leurs amours. Les hommes — en ce temps-là, — mettaient la vertu des femmes à si haut prix qu’ils ne concevaient pas qu’une femme succombât que contre la promesse d’un bon contrat de rente et d’une constitution de tabouret chez la reine.

Fouquet, d’abord, voulut s’assurer la maîtresse du roi, — se l’assurer plutôt encore que la lui disputer. Cet illustre fripon, dont les pilleries ne méritent aucune indulgence, parce qu’aucun service rendu à la France ne les a compensées, combinait dans sa tête légère de vastes et dangereux desseins. Il chargea donc sa confidente accoutumée, la dame du Plessis-Bellière, d’offrir vingt mille pistoles à Mlle de La Vallière, soit à peu près un million d’aujourd’hui. Peut-être, à la vérité, souriait-il à ce Turcaret de supplanter un roi. Mais plutôt c’était en la personne de la jeune fille un espion qu’il voulait soudoyer et qui pût, par exemple, le prévenir à temps quand éclaterait l’orage qu’il sentait, depuis plusieurs mois déjà, gronder sourdement sur sa tête. Quelques jours plus tard, en effet, il était arrêté. Mais il importe à l’histoire d’écarter absolument d’entre les raisons qui déterminèrent Louis XIV à cette espèce de coup d’état une rivalité d’amour et le ressentiment personnel de l’outrage infligé par ce sac d’argent à Louise de La Vallière. La perte de Fouquet, nécessaire, indispensable à la France, était résolue depuis le 4 mai ; c’est Colbert qui nous a conservé cette date, et deux mois plus tard, le 4 juillet, le roi n’avait pas même encore seulement jeté les yeux sur Mlle de Pons. C’est à peine s’il vient de concerter avec Madame Henriette l’imprudente manœuvre que nous rappelions tout à l’heure. Le même Colbert nous a dit d’ailleurs pourquoi Louis XIV attendit quatre mois à frapper. C’est que pendant « les mois de mai, juin, juillet et août, les peuples ne paient rien dans les provinces » et que par conséquent le seul Fouquet pouvait faire le service des fonds. Au surplus, ce que je ne comprends pas, et contre quoi je suis bien aise de protester en passant, c’est la commisération banale dont tous les historiens semblent se croire obligés de payer le tribut à ce triste personnage, qui, s’il représente quelque chose, ne représente, à des yeux qui voient clair, que le pouvoir de l’argent dans tout le faste de son insolence et la pompe de sa grossièreté.

Louise de La Vallière venait à peine d’échapper aux humiliantes propositions de Fouquet qu’un autre complot s’ourdissait contre elle. Grâce aux précautions de Louis XIV lui-même, et surtout d’Anne d’Autriche, toute la cour depuis plusieurs mois connaissait la faveur de La Vallière que Marie-Thérèse l’ignorait encore. Olympe Mancini, l’une des Mazarines, comtesse de Soissons, forma le généreux projet de l’avertir. Elle aussi, le roi l’avait aimée, jadis, et nommée depuis deux ans surintendante de la maison de la reine, elle était demeurée jusqu’alors, si Saint-Simon ne se trompe pas, comme trop souvent, « la maîtresse de la cour, des fêtes et des grâces. » De concert donc avec le « délicieux »