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dans cette situation, elle possède 60 milliards de capitaux placés à l’étranger ? avec le revenu de ce bon fonds de fortune mobilière, elle s’offre le luxe de faire venir du monde entier tout ce qui lui est utile et agréable ; c’est là pour elle un signe, mais non une cause de prospérité. On ne doit pas avancer qu’elle est riche parce qu’elle importe plus qu’elle n’exporte, il faut dire qu’elle importe plus qu’elle n’exporte parce qu’elle est très riche en capitaux et en revenus.

Malgré les apparences, c’est le soleil qui tourne autour de la terre, et non l’inverse. Les astronomes ont mis trois ou quatre mille ans à s’en apercevoir ; les économistes, parmi lesquels nous réclamons l’honneur d’être compris, n’ont mis que soixante ou quatre-vingts ans à redresser une erreur accréditée et commencent à donner des explications nouvelles sur le phénomène des importations et des exportations. Dans un article tout récent du Journal des Débats, M. Leroy-Beaulieu, l’un des représentans les plus distingués de la nouvelle école économique, avec lequel nous avons le regret de ne pas nous trouver toujours d’accord, explique excellemment aussi d’où vient l’erreur. L’importation enfle toujours ses prix, tandis que l’exportation les diminue invariablement ; l’une comme l’autre donnent à la douane des chiffres intentionnellement inexacts. En 1879, la douane italienne inscrit pour 300 millions d’importations françaises, et la douane française n’inscrit que pour 180 millions d’exportations en Italie. Fort bien ; mais c’est il y a vingt-cinq ans que les doyens de la science auraient dû nous donner ces explications au lieu d’accabler les sceptiques de leurs dédains, Et d’ailleurs ce n’est pas la faute de la vieille balance du commerce, si l’on a fourni de tout temps de faux chiffres à la douane et si les données de la statistique se sont trouvées par là complètement mensongères et faussées. Il ne fallait pas asseoir un principe ou un axiome sur des bases aussi fragiles et sur des calculs aussi contestables. Aujourd’hui il suffit pour s’éclairer de constater que l’industrie française et notre commerce, qui exportent réellement trois fois plus qu’ils n’importent, sont dans une situation florissante, tandis que l’agriculture, qui voit importer beaucoup plus de produits agricoles qu’elle n’en exporte, souffre et languit. Dans un tout autre ordre d’idées, à propos de la fuite des métaux précieux à l’étranger résultant d’importations non balancées, M. E. de Laveleye ne nous fait-il pas judicieusement remarquer « que, pour éviter la hausse des tarifs douaniers qui frappent l’étranger, l’on s’imposera la hausse de l’escompte qui pèse sur les nationaux[1] ? » Du reste, l’on n’en a jamais fini avec cette question,

  1. Lettre ouverte au Cobden-Club, 8 avril 1881.