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insuffisance inquiétante de subsistances, qui la force à changer son fusil d’épaule et à réclamer le secours des importations alimentaires à l’étranger.

En outre, la France, au lieu d’être essentiellement industrielle et commerciale comme l’Angleterre et la Hollande, ou bien purement on supérieurement agricole comme les États-Unis ou la Russie, est à la fois industrielle et agricole à ce point qu’on ne saurait sans ruiner le pays sacrifier l’agriculture à l’industrie non plus que l’industrie à l’agriculture. Puis, par intermittences, il se produit une crise dans un sens ou dans l’autre qui rompt tout équilibre et déjoue tous les calculs. Cette double aptitude de notre pays est une grande force et une grande richesse ; mais elle rend singulièrement difficile le règlement de la question douanière. Au lieu d’un courant économique puissant et régulier dans une direction constante comme en Angleterre ou en Amérique, nous subissons des alternatives imprévues de flux et de reflux considérables, dont l’irrégularité déroute toutes les combinaisons et complique étrangement toutes les responsabilités. Et qu’en arrive-t-il ? C’est que selon le point de vue où l’on se place, on est en droit de soutenir les thèses les plus contraires en toute loyauté. Dans les discussions les plus sérieuses comme dans les tableaux de statistique les plus véridiques possible, les libre-échangistes trouvent certains argumens auxquels les protectionnistes n’ont rien à répondre de bon, et de même les protectionnistes jettent à la tête de leurs adversaires des argumens péremptoires, puisés aux mêmes sources, devant lesquels les libre-échangistes sembleraient de voir rester court. La lutte est d’autant plus vive et la conciliation d’autant plus difficile que chacun des deux partis a complètement raison sur certains points et également tort sur d’autres.

En conséquence, il demeure incontestable que, tour à tour ou à la fois, la France a impérieusement besoin des importations étrangères pour compléter la quantité nécessaire de ses subsistances, et impérieusement besoin aussi de pouvoir placer à l’étranger une part souvent considérable de ses produits agricoles et industriels. Libre-échangiste pour les vins fins, l’agriculture française est protectionniste pour les vins communs, pour le bétail et le sucre : protectionniste pour le blé, une partie de la France serait volontiers libre-échangiste pour la farine. En cherchant un peu, on trouverait bien d’autres anomalies analogues.

Au sein de l’industrie elle-même, la confusion et l’antagonisme des intérêts ne sont pas moindres, et l’on y est poursuivi par les plus énervantes contradictions. L’ensemble de l’industrie est nettement protectionniste, mais dans telle manufacture, dans un même bureau