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place et chaque pain ; en Irlande, il y en a trois ou quatre. Ces différences suffisent à expliquer la prospérité facile des États-Unis. Quel pays, quelle constitution, ne réussiraient pas dans des conditions aussi favorables, avec une population vigoureuse et intelligente comme celle de l’Amérique du Nord ?

Devant la difficulté de faire vivre sur son sol une population double de celle qu’il comporterait naturellement, qu’a fait l’Angleterre moderne ? A force d’industrie et d’économie, de prudence et de hardiesse, par la puissance du capital accumulé, elle est parvenue à une écrasante supériorité, industrielle, commerciale et coloniale. Alors, ouvrant ses portes à deux battans, elle a appelé tous les peuples à la libre concurrence industrielle, où elle était assurée de la victoire, ainsi qu’à la liberté commerciale, où elle allait avoir tout profit et à laquelle elle s’était si bien préparée par une longue protection. L’Angleterre n’a maintenu qu’une exception, c’est sur l’article des boissons. Là elle redoute la concurrence ; aussi, contre toute logique, la bière et autres boissons fermentées sont-elles fortement protégées contre les vins étrangers ; mais il n’y a qu’une logique vraie et qu’un principe absolu pour l’Angleterre, c’est l’intérêt des Anglais.

Quoi qu’il en soit de cette exception, l’Angleterre, forcée de demander à l’étranger la moitié de son pain quotidien, de ses alcools et de ses viandes, la totalité de ses vins et des cotons de son industrie textile, a inondé le monde des exportations de son industrie pour faire affluer en retour vers la Grande-Bretagne les importations agricoles dont elle ne saurait se passer à aucun prix. Cet échange est pour les Anglais presque une question de vie et de mort dans les six mois. Il se rencontre là un ensemble de combinaisons bien ingénieuses et bien fortes à tous les points de vue, pour résoudre ainsi chaque jour le problème de la subsistance et de la prospérité de tout un grand peuple de plus de 30 millions d’âmes dans d’aussi délicates conditions. Des deux côtés de l’Atlantique, la race anglo-saxonne a donc réalisé une œuvre immense, celle de la puissance et de l’épanouissement de deux grandes nations de même origine et de même tradition par des moyens absolument opposés.

Du reste, l’expérience est hérissée de contradictions. En voici un autre exemple en passant. Il existe une grosse question pendante et une discussion pleine d’intérêt à plus d’un titre : c’est la question testamentaire et la controverse entre partisans de la grande et ceux de la petite propriété, entre les théoriciens de la concentration et ceux de.la division de la propriété agricole considérées comme favorables ou contraires à la richesse générale. Or