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fournis par les indigènes qui parcourent journellement dans tous les sens le Sahara, nous ont procuré des notions assez exactes sur sa constitution physique, qui ne diffère par aucun phénomène géologique particulier de celle des autres contrées du globe, qui n’est caractérisée que par les conditions spéciales du climat, la rareté des pluies, qui tarit les sources, dessèche le sol et rend impossible toute culture régulière.

Le Sahara nous apparaît dès lors sous un autre jour. S’il ne dépend pas de nous de modifier profondément son climat, d’en faire une terre fertile par elle-même, l’industrie moderne nous fournit les moyens de le supprimer en tant qu’obstacle matériel nous barrant la route de l’Afrique centrale. Un obstacle de ce genre n’existe, en effet, que tout autant que nous ne disposons pas d’engins de locomotion suffisans pour le franchir aisément.

Aux premiers âges du monde, lorsque l’homme ignorait les moindres élémens de la navigation, un étroit bras de mer comme l’Hellespont était une barrière plus infranchissable aux migrations des peuples qu’une forêt ou un désert de plusieurs centaines de lieues d’étendue. Pendant des milliers d’années, la navigation n’a cessé de se perfectionner, lentement d’abord, très rapidement dans l’époque moderne, et nous avons vu les obstacles de la voie maritime s’effacer et disparaître à tel point qu’un voyage autour du monde est de nos jours une entreprise moins longue et moins périlleuse que ne l’était la traversée de la Méditerranée pour les Phéniciens aux temps les plus prospères de leur civilisation.

Le progrès relatif des voies de communication terrestre était resté fort en arrière de celui des voies navigables. L’invention récente des chemins de fer a complètement renversé les termes du problème. Partout où nous pouvons les établir, ils éteignent rapidement toute concurrence rivale, non-seulement pour les voyageurs, mais encore pour les marchandises ; c’est ainsi, par exemple, que nous voyons le commerce des Indes, abandonnant tour à tour la voie du cap de Bonne-Espérance et celle de Gibraltar, emprunter successivement les tracés de chemins de fer qui lui permettent de faire un plus long trajet continental ayant son point d’attache hier à Marseille, aujourd’hui à Brindisi, demain à Salonique, en attendant le jour prochain où l’exécution du Central asiatique complétera un parcours exclusivement terrestre cinq fois plus long que la traversée du Sahara.

Si du domaine des faits qui se produisent sous nos yeux, nous passons à celui de l’hypothèse, n’est-il pas évident que, s’il était possible de faire surgir entre le Havre et New-York une bande de terre, ne fût-ce qu’une étroite langue de sable sur laquelle on