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l’ancienne monarchie, et les droits de la conscience individuelle avec le catholicisme. Toutes les réformes sollicitées par les états-généraux, accomplies par les meilleurs princes, c’est elle qui les a discutées, soutenues, imposées ; d’un bout à l’autre de son histoire, un même esprit de sagesse et de courage patriotiques anime ses déclarations, inspire ses desseins : l’opposition loyale qu’elle fait à la cour ou à l’église exprime fidèlement l’opinion et la volonté traditionnelles de l’ancienne France, aussi fermes contre les abus du pouvoir que résolument attachées au principe même du gouvernement.

Accordons-lui, enfin, pour achever d’être justes envers elle, le mérite d’avoir préparé la brillante éclosion des talens oratoires qui ont paru à la tribune en 1789. Ces hommes de véhémente et forte parole, éclatant tout à coup dans leur pleine maturité et leur glorieuse puissance, orateurs accomplis dès leurs premiers discours, possédant, avec le don intérieur, avec le foyer d’enthousiasme et de conviction, l’art de maîtriser et diriger de vastes assemblées, sans doute, c’est la soudaine merveille des événemens, l’ivresse de la liberté, l’émotion héroïque débordant des cœurs dans ce brûlant printemps de la sève révolutionnaire, oui, c’est tout cela qui les a créés et suscités, ce sont des causes extraordinaires qui ont produit cette fécondité exceptionnelle ; mais l’action des influences souveraines une fois constatée, il reste vrai de dire que la plupart de ces grands hommes nouveaux connaissaient les traditions de nos anciennes assemblées, surtout des parlemens : quelques-uns avaient opiné et parlé devant les chambres réunies, en province ou à Paris ; beaucoup avaient assisté à ces orageuses séances ; et dès le temps où leur génie oratoire sommeillait, inconnu, dans l’obscure et vague conscience de ses facultés, attendant l’heure et l’occasion, déjà ils avaient une claire notion, un sentiment juste de l’éloquence politique. Ne soyons donc ni trop ignorans, ni trop dédaigneux de cette ancienne éloquence dont les souvenirs sont liés aux grandes époques de notre existence nationale, et qui a fourni aux orateurs de la révolution, sinon des modèles parfaits, du moins de nobles exemples. Elle a bien, croyons-nous, quelques droits à la reconnaissance publique : elle est digne d’occuper un plus haut rang dans la pensée de la France moderne et dans l’histoire de notre littérature.


CHARLES AUBERTIN.