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le mot d’un ancien, n’a d’autre souci que de tenir le prince enfermé. et dans l’ignorance de toutes choses ; claudentes principem, id agentes ante omnia ne quid sciat ? C’est à nous de forcer ce blocus, cette enceinte de cardinaux et de prélats qui investit le trône ; il faut pénétrer jusqu’au roi, nous jeter à ses pieds et placer sous ses regards l’appareil d’une compagnie en qui la douleur, le zèle, les larmes, tout parlera. Il y a deux sortes de respect : l’un vrai et sincère, l’autre faux et simulé ; celui-là partant du cœur, celui-ci n’existant que sur les lèvres. Le faux respect peut bien se porter à. donner des marques d’une déférence extérieure, et même aveugle, aux volontés du prince ; mais ce respect est criminel, car le prince, n’étant point à l’abri de la surprise, peut imposer une loi contraire à son intérêt véritable. Le vrai et loyal respect consiste à se mettre au-devant du poignard qu’on voudrait plonger dans le sein du roi. Ah ! plût à Dieu que le roi pût lire dans nos cœurs ! Il n’y trouverait que des sentimens de fidélité, de dévoûment à son service, de tendre amour pour sa personne sacrée, et beaucoup plus, sans doute, que dans tous ceux qui l’environnent. Avec de tels sentimens, pouvons-nous craindre d’être taxés de désobéissance ? » — Peu de jours après, un officier des gardes du corps arrêtait l’auteur de ce discours et l’internait pour plusieurs mois dans son abbaye de Corbigny, au diocèse d’Autun.

D’autres opposans rivalisaient de courage, sinon d’éloquence, avec leur chef ; ils expièrent tous cette dangereuse émulation en de lointains exils, d’où quelques-uns ne revinrent plus. L’un d’eux, le conseiller Titon, des enquêtes, fut incarcéré au fort de Ham, le jour même où l’on enleva l’abbé ; il avait osé interpeller le premier président au moment où ce magistrat, suspecta ses collègues, partait pour Compiègne à la tête d’une députation : « Monsieur, vous allez à Compiègne comme député du parlement ; qu’il me soit permis de vous rappeler un discours que tint au roi, en 1726, un premier président, dans use occasion beaucoup moins importante que celle-ci… Vous le voyez, monsieur, malgré quatre lettres de cachet, successivement apportées à la compagnie, par lesquelles le roi ne demandoit que la surséance d’un arrêt déjà rendu, le parlement ne laissa pas d’en ordonner l’exécution. Il désobéissoit au roi en apparence, mais dans le fond il remplissoit ses engagemens, il sentoit que les ordres du roi étoient contraires aux véritables intérêts de Sa Majesté ; et non-seulement il ne vouloit pas obtempérer, mais il ne vouloit pas même suspendre l’exécution de ses arrêts. Devons-nous donc nous soumettre, lorsqu’il n’est question de rien moins que de voir le peuple de Paris prêt à se soulever, les évêques maîtres absolus dans leurs diocèses, le parlement dépouillé de ce qui