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de son cœur et de son esprit, réglait sa destinée, faisait son bonheur et sa peine, et, du fond de cette solitude, ouvrait à son regard l’infini des hautes perspectives et de l’espoir éclatant. Aussi, quand une atteinte grave était portée à cette chère croyance ; à cette unique passion, quand la fibre intime et délicate était touchée, quelle émotion dans la parole ! comme la plainte de ces âmes blessées attestait leur trouble et leur souffrance !

Dans ces étranges opposans il n’y a nulle place pour les vues ambitieuses et les arrière-pensées qui, chez les hommes de parti, se mêlent plus ou moins aux inspirations du patriotisme et de la liberté ; ils n’espèrent ni le pouvoir, ni l’argent, ni les honneurs ; le monde est absolument fermé pour eux de ce côté-là. « Que voulons-nous ? disait l’un d’eux au parlement, avec une touchante sincérité ; nous demandons qu’on nous permette de vivre en gens de bien et de mourir en paix, de vivre fidèles au service du roi, à la patrie, à nos devoirs, à nos saintes libertés, ces ancres sacrées qui sont la sûreté du vaisseau, et après avoir mené une vie dure, laborieuse, ingrate, de mourir entre les bras d’une personne de confiance, qui nous assiste et nous console dans nos derniers momens. » Beaucoup sont âgés, quelques-uns sont infirmes ; ils savent qu’en un jour de colère, un ordre d’exil peut les punir de leurs discours indépendans et qu’un exempt viendra les enlever à leur famille, les conduire sous escorte de police, comme des criminels, aux extrémités du royaume, les disperser dans des prisons d’état, « les uns sur la cime des montagnes, les autres dans des cloaques, celui-ci sur le bord de la mer, celui-là parmi les neiges et les frimas. » A la menace d’un péril certain, ils répondent par cette déclaration : « La crainte des suites fâcheuses de la fermeté n’est point une raison pour trahir son devoir. Chaque état est une milice qui a ses dangers et ses écueils. La guerre a les siens, l’église a les siens, et ce n’est que par le martyre qu’elle s’est établie. La magistrature a aussi les siens, dont le plus grand est de déplaire au prince. Mais cette crainte doit-elle affaiblir un magistrat qui comprend toute l’étendue de ses obligations et ce que l’honneur de sa place, le bien de l’état et la religion exigent de son ministère ? »

L’opposition parlementaire avait alors pour chef un conseiller-clerc de la grand’chambre, doyen de la compagnie, énergique et spirituel vieillard, à la parole chaleureuse : c’était l’abbé Pucelle, fils d’un avocat du barreau parisien et neveu, par sa mère, du maréchal de Catinat. Il ne nous est plus guère connu aujourd’hui que par le refrain d’une chanson de Maurepas, et cependant la renommée de ses discours, attestée par tous les mémoires