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exercent des puissances bornées et raccourcies ; ceux qui usent d’autorité despotique commandent dans des pays ruinés, et déserts, ou à des Lappons qui n’ont rien d’homme, que, le visage. Roi des Francs, vous avez le commandement sur des hommes de cœur, sur des âmes libres et non pas sur des forçats qui obéissent par contrainte en maudissant tous les jours l’autorité qu’ils sont obligés de respecter. Il y a dix ans que la campagne est désolée ; les paysans sont réduits à coucher sur la paille, leurs meubles vendus pour le payement des impositions qui les accablent. Pour entretenir le luxe de Paris, des millions d’êtres innocens vivent d’un pain de son et d’avoine ; ces malheureux ne possèdent en propriété que leurs âmes, parce qu’elles n’ont pu estre vendues à l’encan. Faites, s’il vous plaît, madame, quelque sorte de réflexion sur cette misère publique dans la retraite de vostre cœur et dans la solitude de vostre oratoire. Faites, sire, que les noms d’amitié, de bienveillance, d’humanité et de tendresse se puissent accorder avec la grandeur et la pourpre de l’empire, et, méprisant les dépenses superflues, triomphez plutôt du luxe de votre siècle que de la patience, de la misère et des larmes de vos sujets. » Voilà ce qu’inspirait ou imposait à un orateur officiel, à un avocat général, le ton hardi et résolu des discours et des opinions de l’assemblée.

Sur la seconde fronde, dite fronde des princes, il existe à la Bibliothèque nationale un journal manuscrit auquel nous avons déjà fait plusieurs emprunts, mais qui n’a pas l’intérêt du journal de 1648, conservé aux Archives et si fréquemment cité dans cette histoire de l’éloquence parlementaire. Les discours y sont plus rares et plus brefs ; l’analyse des séances y est plus négligée. D’ailleurs, l’esprit de l’assemblée a changé ; le doute et la fatigue remplacent l’ancienne ardeur à mesure qu’on approche du dénoûment. Rien ne montre mieux la différence caractéristique des deux périodes de la fronde que l’examen comparé des réunions du parlement dans ces deux journaux. Poussée en tous sens par les intrigues et l’ambition d’alliés sans scrupules, la grave compagnie craint d’être à la fois dupe et complice : elle se sent mal à l’aise, engagée dans une situation fausse et sur un terrain qui n’est pas le sien. Les plus éloquens se taisent, la majorité s’impatiente et s’aigrit ; les partisans de la cour relèvent la tête, et les frondeurs qui tiennent bon, ceux qui continuent à penser et à parler comme en 1648, s’étonnent d’être accueillis à leur tour par des interruptions et des murmures. Leur langage emporté n’est plus pour l’assemblée qu’une rhétorique hors de saison, Pendant la première fronde, un orateur avait proposé de raser la Bastille. Sa motion ne fut pas soutenue ; on crut faire assez en donnant pour gouverneur à l’impopulaire