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que les brouilleries et les violences sont les voies dont on se sert pour arriver au chapeau, et c’est ce qui fait tous les mouvemens de l’état. L’éclat de cette pourpre fait couler des ruisseaux de sang, de sorte que l’on peut dire : Purpura dignitatis, instrumentum crudelitatis. Le temps est venu ou de rétablir la tyrannie, ou de chasser le tyran ; iterum delenda Carthago. » Appuyant cet avis, et luttant d’énergie avec ces poignantes expressions, le président de Novion, de la grand’chambre, déclarait que la toute-puissance de Mazarin était un outrage pour la France : « Je rougis, messieurs, de me sentir maîtrisé par un étranger que la fortune a mis au-dessus de sa roue. La France est-elle donc si stérile en grands hommes qu’il soit nécessaire d’appeler des inconnus de pareille étoffe, qui n’ont pour confîdens que des gens qui méritent la corde ? » Un autre proscrit du 26 août, un frondeur intraitable, grand ami de Broussel, le président Charton, des requêtes du palais, faisait le procès aux salariés du ministère, aux conseillers qui vendaient leurs suffrages pour une pension de la cour. « De quel front pouvons-nous accepter cet argent ? N’est-ce pas livrer notre conscience et battre monnaie avec nos votes ? » Lorsqu’on discuta l’admission de l’envoyé du roi d’Espagne, il combattit les scrupules patriotiques de l’assemblée en opposant à la haine du nom espagnol l’odieux du nom italien de Mazarin : « Nous avons deux ennemis, l’un déclaré, l’autre couvert ; l’un Espagnol, l’autre Italien ; l’un hautain et superbe, l’autre fin, dissimulé et fourbe ; défions-nous, messieurs, du cardinal Mazarin plus que de l’archiduc. » Voici le portrait de ce président, tracé dix ans après, par l’agent de Colbert : « Esprit inquiet, turbulent, qui se pique de capacité et de justice, qui veut de grandes déférences et de grands honneurs. Il a esté grand frondeur et conserve sa brigue dans le parlement. » Le président Violle est ainsi noté dans le même rapport confidentiel : « Esprit actif, entreprenant, fougueux, vindicatif, l’un des chefs de la fronde ; s’exprime bien, a de la fermeté dans ses résolutions et a tout donné à sa haute ambition. »

Telle était la violence des sentimens de l’assemblée qu’elle entraînait jusqu’aux gens du roi, avocats d’office et défenseurs attitrés du ministère. Un tribun n’aurait pas désavoué l’audace inusitée de leur langage. Dans un lit de justice tenu en 1648, Orner Talon, orateur emphatique et solennel, osa dire en face à la régente, devant la cour frappée de stupeur, que son gouvernement, oppresseur des peuples, était bien plus fait pour des barbares que pour des Français. « Vous estes, sire, notre souverain seigneur ; vostre puissance vient d’en haut ; mais il importe à vostre gloire que nous soyons des hommes libres et non des esclaves. La plupart des souverains