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s’écrièrent qu’on ne voulait pas aller si loin. « Je ne crois pas avoir failli, messieurs, reprit l’orateur, car n’est-ce pas traiter que d’entendre et d’écouter les propositions faites par l’ennemy ? Mais le parlement peut-il recevoir une proposition de paix, puisque, cette paix, il ne peut pas la conclure ? A-t-il connoissance des affaires d’état, des intérests des princes alliés ? A-t-il correspondance avec eux ? Peut-il rendre les places, ordonner aux gouverneurs d’en sortir, et obliger les alliés à exécuter ce qu’il aura arresté ? Ainsy, ne pouvant traiter, comment vouloir en entendre la proposition ? Si nous recevons cet envoyé, n’est-ce pas blesser la haute réputation de fidélité qui a toujours distingué cette compagnie ? Serait-il dit que ce parlement, qui a remis la couronne sur la teste de son prince légitime, quoyque de religion différente et alors ennemy de l’église, que ce mesme parlement aujourd’huy donne, en faveur de celuy qui nous fait la guerre, un coup tel à l’autorité royale qu’il ébranle la couronne de son roy mineur et innocent ! Faisons, messieurs, un généreux effort pour ne pas démentir les grands services rendus par nos prédécesseurs à l’état et à la monarchie. » La passion l’emporta sur la raison et le patriotisme. A la majorité de 117 suffrages contre 72, l’avis de Broussel » favorable à l’envoyé espagnol, fut adopté.

Dans toute assemblée, à côté des orateurs dominans et dirigeans, qui frappent les coups décisifs, il y a les seconds rôles, les utilités de la scène politique, ceux qui préparent ou soutiennent l’action des chefs et vulgarisent leurs idées en les répétant. Parfois l’exemple les anime et d’heureux élans les mettent de par avec leurs modèles. Ces talens de moindre célébrité n’ont pas manqué au parlement de 1648 : pour les connaître, il suffit de consulter les listes de proscription ; la vengeance de la cour a pris soin de les désigner à l’histoire. Parmi les opposans arrêtés avec Broussel, le 26 août, était le président de la première chambre des enquêtes, Blancmesnil, que l’agent de Colbert, dans ses notes, qualifie de « personnage mélancolique, extravagant et bizarre. » Il expiait le crime d’avoir le premier dénoncé le cardinal Mazarin comme le grand coupable à punir, comme l’ennemi à renverser. « Allons, messieurs, à la source du mal. Tout ce que nous souffrons vient du cardinal Mazarin. Il est étranger, il n’aime pas la France, et que lui importe de tout perdre pourvu qu’il comble ses créatures ? Ma conscience me dit que c’est là qu’il faut porter le remède. Nous ne respirons plus un air français, mais bien un air italien. » Le 22 juin, dans un beau mouvement d’indignation, rappelant les souvenirs sanglans du despotisme de Richelieu, il avait exhorté la compagnie à braver le retour de cette terreur et à relever la tête