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plus, menaçait de s’emporter jusqu’à ces redoutables extrémités, il n’hésitait pas à intervenir ; il se jetait, de toute l’ardeur de ses sentimens longtemps contenus, dans la mêlée des opinions. En 1651, à la veille de la prise d’armes des princes, Mathieu Molé fit en plein parlement une tentative suprême pour rompre ce coupable dessein, pour retenir les bras impatiens de tirer l’épée ; il adjura les partis d’avoir pitié du royaume, de ne pas le livrer de leurs propres mains, déchiré et sanglant, aux Allemands et aux Espagnols : « Au nom du ciel, messieurs, repoussez ces voies extrêmes, détournez de nos têtes ces malheurs ; songez au salut et au repos de la France ! » S’arrêtant tout à coup au milieu de ce discours pathétique, il parut, dit un historien, comme un homme saisi de douleur, les yeux remplis de larmes, ayant peine à trouver ce qu’il voulait dire, puis il finit par ces mots : « Je vous en prie, messieurs, ne perdez pas l’état ; vous avez toujours aimé le roi ! » Voilà un de ces traits imprévus, une de ces inspirations de l’éloquence du cœur que Retz admirait dans Mathieu Molé.

Les discours que ce grand citoyen a prononcés devant la régente, au nom du parlement, et que ses mémoires ont conservés, sont d’une expression trop mesurée pour nous reproduire l’empreinte et l’image d’un esprit puissant, mais inégal, qui devait tout à la force momentanée de l’émotion ; pourtant, au mois d’août 1648, lorsqu’à la tête de sa compagnie, à travers les barricades, sous le feu des menaces et des injures de Paris soulevé, il vint au Palais-Royal réclamer la liberté de Broussel et donner assaut à l’entêtement d’Anne d’Autriche, la violence des événemens affranchit sa sincérité des contraintes ordinaires ; il osa, pour sauver le trône, mettre dans ses paroles toute son énergie. « Il y va maintenant de tout, madame, et nous trahirions nos charges et notre de voir si nous n’insistions pas pour obtenir ce que le peuple demande. Le danger est si public qu’il ne peut être celé. La foule est en armes ; les barricades sont dressées par les rues, avec l’intention déclarée de ne pas les rompre et de ne pas quitter les armes sans la liberté de M. de Broussel : ce n’est là que le commencement ; le mal peut croître à tel degré que l’autorité royale y périra. Pour quelle cause a-t-on ordonné l’emprisonnement de deux membres du parlement, sinon parce qu’ils avoient avec liberté dit leur suffrage ? Si cette liberté est ôtée, le parlement perd son nom, toutes les lois sont violées, la sécurité de l’état est perdue. Que Votre Majesté n’étouffe pas la voix publique ; que les plaintes des peuples affligés puissent toujours monter jusqu’à vous, de peur que, perdant toute espérance, ils ne cherchent des moyens contraires à l’ordre de la monarchie. Pensez où le désespoir pourra les porter, si, à notre retour, nous