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et le christianisme ? Il ne l’essaya même point ; il alla de l’un à l’autre. Il ressort de ses premières sculptures et de ses sonnets tardifs que, dans sa jeunesse, il subit l’âpre attrait de la volupté antique. Son Bacchus, sa Léda, le prouvent. Mais il se rapprocha de plus en plus de l’esprit du christianisme à travers l’esprit mosaïque. Sa carrière commence par un masque de Faune qu’il sculpte dans le jardin de Laurent de Médicis et finit dans les tonnerres du Jugement dernier. Comme artiste, il s’arrêta au seuil de l’évangile sans y pénétrer. Dans sa vieillesse, il s’assombrit, se tourna vers l’ascétisme et finit par avouer que son art ne le contentait plus. « Je commence à voir, dit-il dans un de ses sonnets, combien était aveugle la fantaisie qui se fit de l’art son idole et son monarque. Il ne suffit plus de peindre et de sculpter pour apaiser cette âme éprise de l’amour divin. » Voilà la dernière confession du grand Michel-Ange sur les arts plastiques.

Raphaël est en un sens le représentant le plus accompli de la renaissance italienne, son interprète officiel le plus autorisé. Et cela parce qu’il se maintient dans les régions tempérées ; il n’embrasse pas les extrêmes. Il est à cent lieues de la force de Michel-Ange, et s’il surpasse le Corrège par l’élégance classique, il n’a pas son intensité de vie, sa poésie intime, sa puissance d’enthousiasme. C’est le peintre de la catholicité païenne et du mysticisme mondain. Son Parnasse, sa Dispute du saint sacrement, son École d’Athènes ne représentent ni la Grèce, ni le monde chrétien, mais l’académie platonicienne de Marsile Ficin, où l’on cultive les belles attitudes non moins que les beaux discours. Le charmant Sanzio a couvert le paganisme et le christianisme du même voile d’élégance, du même charme de modestie et de discrétion. Par cette grâce, par cette élégance, il est unique, il est adorable, autant qu’il est merveilleux par sa fécondité. Mais il a juxtaposé les deux mondes sans les fondre et sans les pénétrer entièrement. Platon eût dit de lui qu’il a mieux vu les formes que les essences.

Raphaël rend donc à merveille la belle superficie de la renaissance, sa doctrine officielle. Mais si nous voulons connaître la pensée intime, la doctrine ésotérique du siècle, nous ne la trouvons que dans le Corrège. Allegri prouve que l’hellénisme et le christianisme, ces ennemis acharnés dans l’histoire, ont pu s’unir une fois dans une nature merveilleusement organisée. Car il fut à la fois un sensualiste exquis et un spiritualiste profond. Chez cet artiste vraiment heureux, la joie dans cette vie s’unit au besoin d’une renaissance intérieure de l’âme et à la foi dans un immense au-delà. Il n’y a pas de fort génie qui ne possède ces deux instincts. Seulement la phase sensualiste est généralement une révolte et la phase spiritualiste un repentir. Dans Allegri rien de pareil : le mélange est