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sémitique d’une forêt de boucles. C’est le type du prophète hébreu dans sa rudesse et sa grandeur. Il en a le feu caché et les violens emportemens, qui se devinent à la flamme sombre de son œil. » Il ne voit pas l’idéal, lui ; il voit le réel : les luttes sanglantes de l’histoire, les passions déchaînées, les cruautés commises au nom du noble maître. Et ces yeux qui seuls voient la réalité au milieu des autres perdus dans un monde supra-terrestre sont d’un effet tragique. Car la pensée de ce fier lutteur demeure incertaine entre le triomphe de la justice et celui de l’iniquité, comme si le peintre avait voulu nous dire que cette certitude ne peut se trouver qu’en nous-mêmes.

Dans les quatre pendentifs qui se trouvent plus bas, entre les arcades, le Corrège a figuré un autre genre d’inspiration. Nous y voyons les pères de l’église rédigeant la doctrine chrétienne sous la dictée des évangélistes. L’artiste a marqué une grande différence entre ceux qui contemplent directement le maître et ceux qui ne connaissent sa doctrine que par transmission. Les premiers rayonnent pour ainsi dire du reflet de sa lumière, en sont imbus de force et de beauté ; assis dans le pur ether au-dessus des tempêtes, ils l’admirent dans sa splendeur éternelle et n’ont pas besoin de raisonnement pour le comprendre ; ils le voient. Les autres écoutent ce qu’on leur dit, ils écrivent mot à mot avec une profonde contention d’esprit. Chaque pendentif renferme un évangéliste et un père de l’église. Ils travaillent, ils étudient avec ardeur. Un ange soutient le livre de saint Marc, qui dicte à saint Jérôme. De beaux adolescens couchés des deux côtés sur les corniches suivent de loin leurs études. Dans chaque groupe se trahit une fine psychologie. Saint Jean, beau comme un jeune Platon, explique la trinité au vieux saint Augustin, qui a beaucoup de peine à le suivre, Mais ce ravissant jeune homme est tellement versé dans les choses transcendantes qu’il démontre sa métaphysique avec une grâce ailée. Le vieillard compte sur ses doigts et les serre un à un comme pour mieux saisir l’argument subtil.

Le style de cette fresque est très différent du style des peintures à l’huile du même maître. Le dessin est magistral, les poses sont grandioses, mais toujours naturelles. Comparez l’ensemble et le détail de l’œuvre avec la Dispute du saint sacrement de Raphaël, et vous verrez que le Corrège surpasse ici son rival par la profondeur de l’idée, par l’intensité du sentiment comme aussi par la franchise de l’exécution.

Passons de la coupole de saint Jean à celle du Dôme. C’est l’œuvre de la maturité. Elle fut exécutée entre 1524 et 1528. Allegri y mit un soin extrême, travaillant du soir au matin, multipliant les cartons, les esquisses au lavis et à la sanguine ; modelant lui-même des