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s’élevait un autel : une cinquantaine de fidèles y célébraient en chœur les merveilles de la terre-sainte. A la vérité, les voix étaient bien pauvres et la musique bien vulgaire ; néanmoins la foi naïve qui brillait sur les visages, l’enthousiasme qui éclatait sur quelques-uns d’entre eux, l’odeur de l’encens, l’exigüité et l’obscurité de la chapelle qui rappelaient les grottes profondes où les premiers chrétiens célébraient leurs mystères pour les dérober aux yeux profanes et se soustraire à la persécution, la pensée que quelques marches nous séparaient seules de Jérusalem, tout contribuait à faire de cet office si simple une touchante cérémonie. Il est des heures et des circonstances où le scepticisme même de l’esprit n’enlève pas à l’âme la fraîcheur et la pureté de ses émotions.

Quand on quitte Ramleh, la route continue pendant quelques lieues à travers la plaine sans offrir d’autre, particularité que quelques villages et quelques constructions dépourvus de caractère. Mais bientôt commencent les premières ondulations des montagnes de la Judée, et peu à peu on s’enfonce dans des vallées étroites, chargées de fleurs et d’oliviers. On longe des ravins profonds, on gravit des pentes pierreuses ; un paysage de Provence succède à un paysage de la Creuse et de la Lozère ; tantôt on est enfoui dans une végétation luxuriante, tantôt on se perd dans des rochers nus que calcine un soleil dévorant. Quand on atteint les premiers sommets et qu’on se retourne, l’œil est frappé du plus splendide spectacle. Toute la plaine de Sâron, de Gaza à Césarée, apparaît avec la mer pour bordure, tandis qu’au nord s’ouvre le vallon de Jérémie, où l’on prétend qu’est né le poète des Lamentations. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’après avoir dit adieu à cet admirable panorama, les régions que l’on traverse rappellent l’abomination de la désolation décrite par le plus plaintif des prophètes. Les premières montagnes de la Judée sont peu élevées ; elles sont cultivées en gradins ; la verdure des arbres et les mille couleurs des fleurs égaient leurs flancs élégans. Mais plus on approche de Jérusalem, plus le pays change d’aspect, plus il devient sombre, nu, désert. Les croupes des montagnes s’élèvent, les lignes de leur faîte, qui étaient tout à l’heure gracieusement brisées, s’allongent au loin avec une monotonie désespérante, les vallons se creusent à une immense profondeur, des lits de torrens desséchés s’y déroulent comme des rubans grisâtres : arbres, fleurs, verdure, mousse même, tout disparaît pour ne laisser apparaître que la roche stérile et grillée. On dirait de gigantesques vagues pierreuses soudainement rendues immobiles. L’imagination est écrasée par cet océan pétrifié. Chateaubriand a rendu avec fidélité la sensation que cause un spectacle qui est grandiose à force de tristesse et d’horreur. « Le paysage qui entoure Jérusalem, dit-il, est affreux ; ce sont de toutes parts des montagnes