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étudiée à part : nous y reviendrons dans d’autres études, et nous ne l’examinerons aujourd’hui que dans ce qu’elle a de commun avec la morale traditionnelle du spiritualisme.

Ce qui produit, dans cette question capitale, une foule de malentendus entre les moralistes, c’est le sens ambigu des mots de perfection, d’excellence, de supériorité. Ces termes, rigoureusement interprétés, n’expriment par eux-mêmes que les relations appelées par les grammairiens comparatif et superlatif : ils n’indiquent pas la nature de l’objet auquel on les applique. Cet objet peut être une quantité abstraite ; il peut être une qualité concrète, il peut être un plaisir, etc. En d’autres termes, un objet peut être supérieur à un autre en grandeur, en nombre, en force, en intelligibilité, en agrément. Et comme chacune de ces supériorités répond à quelqu’une de nos facultés en qui elle cause une satisfaction plus grande, un surcroît de développement, comme d’autre part toute satisfaction des facultés engendre un surcroit de bonheur, il en résulte une relation finale de toute supériorité à la supériorité de bonheur, laquelle est évidemment un bien. De là une tendance à étendre le mot de bien aux supériorités de toute sorte, qui fait qu’on oublie à la fin le véritable signe intérieur du bien, la joie. Mais il n’est nullement démontré qu’une supériorité en elle-même, quel qu’en soit l’objet, soit un bien, ni qu’un accomplissement, un achèvement, une perfection, quel que soit l’objet accompli et achevé, soit encore un bien. Le spiritualisme français nous semble donc avoir le tort de prendre pour principe une idée vague qui, en elle-même, n’a rien de moral.

L’accomplissement, l’agrandissement, le progrès d’une quantité ou d’une qualité ne devient un bien, pourrait-on dire, que lorsqu’il atteint une fin. Aussi le spiritualisme se voit-il « forcé de remplir l’idée vide de perfection par celle de fin atteinte. La perfection d’une montre, c’est de marquer exactement l’heure ; la perfection d’un cheval, c’est de bien courir ; la perfection de la mémoire, c’est de bien accomplir sa fonction, qui est de retenir le passé ; la perfection de nos facultés, en général, c’est leur ajustement complet à leur fonction, à leur but. Tout dépendra donc de la valeur des fuis. Mais la question ne fait ainsi que se déplacer et se reporter sur les objets de notre activité, ou sur les buts : il s’agit toujours de savoir pourquoi tel objet est supérieur à tel autre, plus excellent que tel autre, plus propre que tel autre à être la fin de notre activité.

Selon le spiritualisme, cette supériorité de certains objets, de certaines fins sur d’autres, est indépendante de notre.sensibilité et inexplicable par la sensibilité seule. Pour établir cette thèse