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simplement vos yeux qui ne sont point un réactif assez puissant. De même, l’astronome vous placera devant un fort télescope et votre nébuleuse se résoudra en étoiles distinctes. Quand il s’agit de vos actions, vous n’avez pas davantage le droit de passer subitement du subjectif à l’objectif, de l’absence de toute connaissance des causes étrangères, à la négation de toute existence des causes étrangères ; en un mot, vous ne pouvez prouver par l’expérience la non-existence d’une certaine cause, puisque l’expérience ne vous apprend rien, sinon que vous ne la percevez pas : ce serait mesurer l’étendue de l’espace à l’étendue de votre champ visuel. Cette illusion d’optique nous paraît être celle de l’école spiritualiste en France. Nous pouvons donc, contrairement à ses assenions, conclure que la conscience de l’indépendance supposerait celle d’un vide absolu entre nous et le reste des causes, d’un isolement absolu de notre velouté un point précis où elle est libre ; or cette conscience du vide est impossible, parce qu’on ne peut jamais être sûr d’avoir épuisé tout l’être et toutes les formes de l’être pour pouvoir dire : — Ma volonté est ici soustraite à toute relation avec les autres choses, à tout milieu déterminant, à tout lien secret qui établirait une communication entre elle et la grande machine du monde ; je suis donc seul ici en face de moi, je suis mon maître, je suis à moi-même mon univers séparé de tous les autres mondes et soustrait à leur influence. — Cette prétendue conscience de l’indépendance ne serait réellement, si on peut employer ce terme, que l’inconscienee de la dépendance.

Laissons maintenant l’aspect négatif de la liberté pour l’examiner sous son aspect positif ; à ce point de vue, nous avons dit qu’elle pouvait de définir la spontanéité absolue, La volonté, dit M. Janet, doit « produire sa propre action par une sorte de création ex nihilo, en ce sens du moins que cette action n’est pas déjà contenue dans un état antérieur… Elle est, suivant l’expression de Kant, la puissance de commencer un mouvement[1]. » — La conscience de cette spontanéité créatrice est-elle possible ? Pour qu’elle le soit, il faut que je puisse apercevoir le fond même de mon être, indépendant de tous les autres êtres et renfermant en soi une double série de changemens. La conscience de la liberté serait donc, chose à laquelle on ne songe pas, la connaissance absolue de ce qu’il y a d’absolu en nous, Par exemple, pour savoir que c’est bien moi qui suis l’auteur libre de ma résolution, il faut que je sois pour moi-même transparent jusque dans mes plus intimes profondeurs et que je voie ma résolution sortir de mon fond propre comme un flot

  1. Morale, p. 470.