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SAUVAGEONNE.

toutes les menues et délicieuses sensations de l’amour qui commence. — Soudain, au fond de la vallée endormie, l’horloge de l’église s’éveilla, et onze coups bien détachés s’envolèrent l’un après l’autre dans l’air fraîchissant.

— Ah ! mon Dieu, onze heures I s’écria Mme Adrienne, reprise de ses scrupules.

— Déjà ! dit Francis.

— Que vont penser les domestiques ? continua-t-elle en hâtant le pas.

— Je crois qu’il est grand temps que je me retire, en effet, murmura Francis. Bonsoir, madame, et merci pour cette soirée dont je garderai toujours le souvenir !

— Au revoir, monsieur ! répondit-elle en baissant les yeux.

Il lui avait tendu la main, elle n’osa lui refuser la sienne, et les deux mains restèrent assez longtemps l’une dans l’autre. Elle se dégagea enfin, et Francis courut reprendre son chapeau. Quand il revint sur le perron, il trouva Mme Adrienne en train d’arracher une touffe de roses rouges à l’un des rosiers grimpans qui encadraient la marquise.

— Attendez, dit-elle, je veux que vous emportiez quelques fleurs de la Mancienne.

Il prit les roses, les piqua à sa boutonnière, puis saisit de nouveau la main qui les lui avait offertes, la serra et s’enfuit.

Une fois dehors, ayant retrouvé un peu de sang-froid, il alluma un cigare et regagna lentement son auberge, en suivant la rue des Fermiers. Comme il traversait la place de l’église, il lui sembla entendre des chuchotemens derrière les persiennes du bureau de poste ; mais il était si absorbé par les pensées agréables qui bourdonnaient dans son cerveau, qu’il n’y prit pas garde.

Quand le bruit de ses pas se fut éteint, la receveuse des postes ferma sa fenêtre avec précaution, tandis que sa sœur, Mlle Irma, rallumait sa bougie.

— Hein ! ma chère, crois-tu ? s’écria cette dernière en secouant la tête.

— Elle l’a gardé jusqu’à près de minuit, fit l’autre en joignant les mains dévotement ; quel scandale !

— Ça finira mal, retiens ce que je te dis !

André Theuriet.

{La seconde partie au prochain n°,)