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SAUVAGEONNE.

et, Pierre ayant ouvert les deux battans de la porte, les invités passèrent au salon, où le café était servi.

Le curé et Francis Pommeret se rencontrèrent dans l’embrasure de la porte.

— Monsieur le garde-général, dit le prêtre de son ton sardonique, ma bibliothèque est toujours à votre disposition,… mais il me semble que vous n’en abusez pas.

— Pardon, monsieur le curé, répondit Francis en rougissant sous le regard aigu de l’abbé, depuis quelques mois je n’ai guère eu le temps de lire.

— Vous êtes très occupé…

— Oui, monsieur le curé, passablement.

— En vérité !… Je m’étais laissé dire qu’en cette saison les opérations forestières vous laissaient de nombreux loisirs.

— C’est une erreur, répliqua sèchement le garde-général.

— Ah ! tant mieux ! soupira le prêtre ; puis il ajouta en pinçant les lèvres : — Enfin, quand vos occupations vous absorberont moins, souvenez-vous que mes livres sont à votre service… J’ai mis en réserve quelques pères dont la lecture vous intéressera certainement.

— Merci mille fois ! monsieur le curé. — Ce diable d’homme se moque de moi, pensa Francis Pommeret en se dirigeant vers le guéridon où Mme Lebreton, aidée de Mlle Chesnel, offrait du café et des liqueurs à ses convives.

Le percepteur, assis dans un fauteuil, tournait sa cuiller dans sa tasse et soufflait bruyamment sur son café trop chaud. Le juge de paix, joignant l’exemple au précepte, avait conduit la notairesse à une table de jeu et organisait avec le notaire et la femme du percepteur un domino à quatre. Le garde-général, accoudé au piano ouvert, regardait Mme Lebreton occupée à servir ses hôtes. Penchée au-dessus du guéridon, elle soulevait la cafetière d’argent et remplissait les tasses. Ainsi posée, le cou infléchi, le bras en l’air, la robe laissant passer sous ses plis tombans une bottine de satin noir, elle présentait, de la nuque où frisaient des boucles brunes, jusqu’à l’extrémité du talon découvrant un bout de jupon blanc, un ensemble de lignes élégantes dont le jeune homme suivait avec curiosité les sobres ondulations. Quand Mme Adrienne eut servi tout son monde, elle vint s’asseoir sur un canapé, à côté de Mlle Chesnel qui sirotait lentement un verre de marasquin.

— Chère madame, dit cette demoiselle en montrant le piano ouvert, ne nous jouerez-vous pas quelque chose ?… Pour moi, j’adore la musique, surtout la musique brillante. Quand les mains courent tout le long du clavier et se croisent l’une sur l’autre… oh ! c’est délicieux !