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SAUVAGEONNE.

cheveux ébouriffés sous un bonnet de nuit posé de travers, parut sur le seuil. Francis Pommeret la hêla d’un ton dégagé et lui demanda si M. Petitot était chez lui. Sur la réponse embarrassée, mais négative de la jeune femme, Francis tira une carte de son carnet et la lui remit négligemment, en lui recommandant de ne pas oublier d’exprimer ses regrets « à son maître. » À certain mouvement des lèvres et des yeux, et à une rougeur subite qui monta au visage de la dame, le garde-général soupçonna tout à coup que celle qu’il venait de traiter en servante était la propre femme du percepteur. Ayant la conscience de sa bévue, il salua gauchement et sortit. Joli début ! songea-t-il, je me suis déjà fait une ennemie.

Chez le juge de paix, chez le notaire et chez le médecin, il trouva visage de bois : le premier était allé chasser des poules d’eau sur l’étang de Rouelles, les deux autres avaient été appelés au dehors par leurs fonctions.

Maintenant venait le tour du curé ; les vêpres étant finies, le garde-général jugea le moment opportun pour se présenter au presbytère : — une antique maison bien confortable, bâtie discrètement entre cour et jardin, avec un seuil où des lauriers-thyms fleurissaient dans des caisses de bois peint en vert. Dès que Francis eut décliné sa qualité, la sœur de M. le doyen, vieille fille étique, à la mine austère et prudente, l’introduisit dans le salon orné de tableaux de sainteté et d’une vaste bibliothèque. L’abbé Cartier, sec lui-même comme un brin de fagot, était assis devant la fenêtre, à contre-jour. Il se leva de son fauteuil de paille pour recevoir le visiteur. Francis vit un grand corps décharné, perdu dans les plis d’une soutane neuve, un front maigre en surplomb au-dessus de deux cavités renfoncées où des yeux noirs perçans luisaient comme dans un soupirail, un nez droit, affilé du bout et deux lèvres minces, rentrées, sardoniques, qui s’entr’ouvraient pour lui souhaiter la bienvenue.

— Enfin, songea-t-il en s’asseyant, voilà au moins une créature intelligente.

— Vous habitez depuis peu notre pays, monsieur le garde-général ? commença le prêtre en ramenant sur ses genoux les plis de sa soutane, car je n’ai pas encore eu le plaisir de vous voir aux offices du dimanche.

Francis répondit qu’il était arrivé depuis huit jours. Le curé eut un hochement de tête contristé, où le jeune homme crut voir un reproche indirect. M. le doyen pensait sans doute que l’absence de son nouveau paroissien à la grand’messe du matin était un signe trop évident d’indifférence religieuse.

— Vous succédez, reprit l’abbé avec un soupir, à un homme que nous regrettons tous ; votre prédécesseur apportait un zèle méri-