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le torysme comme un esprit nouveau. Son malheur ou sa faiblesse a été de rester souvent un romancier dans la politique, de céder à des fascinations d’esprit ou d’imagination, d’aimer à étonner par les actes d’ostentation ou les coups de théâtre, tantôt en inventant pour la reine le titre d’impératrice des Indes, tantôt en préparant avec art la conquête de Chypre ou en recherchant la gloire des expéditions lointaines. L’échec des dernières élections n’a été peut-être que l’expiation des goûts de politique fastueuse auxquels il se laissait aller complaisamment ; mais ce qui l’absout aux yeux des Anglais, c’est qu’il portait au pouvoir un sentiment altier et puissant de la grandeur britannique. Il avait relevé l’orgueil national humilié ou troublé de l’effacement auquel la diplomatie anglaise s’était soumise pendant de longues années, même aux heures les plus décisives, et c’est ce qui fait qu’il meurt avec tout son prestige, regretté de la reine, dont il avait su gagner la confiance, respecté par ses adversaires, populaire après tout dans le pays comme dans son parti. Pour tous, c’est une grande figure contemporaine, honneur de l’Angleterre, qui s’éclipse.

La question est maintenant de savoir par qui lord Beaconsfield sera remplacé à la tête du parti tory. Sir Stafford Northcote, l’ancien collègue de lord Beaconsfield, est naturellement le leader des conservateurs dans la chambre des communes, et il remplit ce rôle avec sagesse ; mais est-il en position d’exercer le commandement sur le parti tout entier ? Choisira-t-on de préférence, pour cette délicate fonction, lord Salisbury ou lord Cairns ? A défaut de ceux-ci, le nouveau chef reconnu sera-t-il le duc de Richmond, qui a une grande position sociale plutôt qu’un grand ascendant politique ou une grande activité ? Tous ces noms ont été proposés et discutés. Un choix est d’autant plus pressant qu’en ce moment même, les débats les plus graves sont engagés devant la chambre des communes au sujet du bill agraire sur l’Irlande. Déjà M. Gibson, ancien attorney-général pour l’Irlande, a ouvert le feu pour le parti conservateur contre le land-bill. Des amendemens nombreux ont été présentés ; il y a tout un système de conduite à adopter et à suivre. D’un autre côté, un incident récent montre combien la situation parlementaire est à la merci de l’imprévu. M. Bradlaugh, qui fait profession d’athéisme et qui a été exclu il y a quelque temps de la chambre des communes pour n’avoir pas voulu prêter le serment exigé, vient d’être réélu ; il s’est présenté de nouveau devant la chambre, et aussitôt sir Stafford Northcote a fait une motion pour que M. Bradlaugh ne fût pas plus admis aujourd’hui qu’il ne l’avait été précédemment. Ce qu’il y a de curieux, c’est que sir Stafford Northcote a rallié une majorité, tandis que le ministère est resté silencieux. Ce n’est point sans doute le signe d’une dislocation de la majorité libérale qui soutient jusqu’ici le ministère ; cela prouve du moins qu’il y a des surprises toujours possibles et que, dans les luttes qui se préparent, le