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C’étaient là, j’imagine, assez d’élémens de succès : une pointe de scandale a relevé encore le ragoût de cette pièce. M. Brunetière, ici même, parlait l’autre jour du « reportage dans le roman : » voilà M. Pailleron suspect d’introduire le reportage au théâtre. A Dieu ne plaise que je prenne pour vraies les clés qu’on a données de son œuvre ! Ce sont de fausses clés bonnes à forcer la badauderie publique, et lui-même, tout le premier, les dénonce à nos défiances : il a raison, car ces rumeurs lui rendraient un méchant service. Molière, qui ne prétendait pas à l’Académie française, prit ses précautions avant de jouer Cotin sur la scène. — Et Cotin, comme Ménage, était son ennemi : n’avaient-ils pas tous deux persuadé à Montausier que Molière l’avait bafoué sous les traits d’Alceste ?

On rapporte que le dit Ménage, après les Femme savantes, comme un officieux se récriait sur l’effronterie de Molière, lui répondit : « J’ai vu la pièce, elle est parfaitement belle ; on n’y peut rien trouver à redire ni à critiquer. » Le trait n’est pas d’un sot, pour l’original de Vadius ; mais Ménage, mieux que personne, savait que ces malices-là ne se pardonnent pas : sa Requête des dictionnaires, ce pamphlet drolatique, l’avait consigné pour toujours aux portes de l’Académie. « Il était, dit Pellisson, ami particulier et intime de plusieurs académiciens dont il est parlé dans cette Requête, et ne l’entreprit, comme il le proteste lui-même, par aucun mouvement de haine ou d’envie, mais seulement pour se divertir, et pour ne point perdre les bons mots qui lui étaient venus dans l’esprit sur ce sujet. » Vaine protestation ! l’Académie fut rancunière. Elle ne prit pas au sérieux la boutade de Montmaur, tyrannisé naguère, lui aussi, par Ménage, et qui disait alors qu’on devait la forcer à le recevoir, comme on marie une fille au mauvais gars qui l’a déshonorée. Elle jugea superflu ce prix de l’impertinence, et Ménage connut bien que, lorsqu’on abonde en bons mots, il est prudent parfois d’en perdre quelques-uns. Molière non plus ne l’ignorait pas et ne se hasardait qu’à bon escient : encore, deux jours avant les Femmes savantes, fit-il adresser par La Grange un discours au public, pour « justifier ses intentions » et démentir à l’avance les « applications » qu’on ferait de sa pièce. Il est fâcheux que cet emploi « d’orateur de la troupe » soit aboli maintenant à la Comédie-Française : M. Got, sans doute, l’eût rempli à merveille ; on aurait cru, à sa prière, l’auteur sur parole ; et personne aujourd’hui ne pourrait taxer M. Pailleron, sinon de manquement aux bienséances, — le mot est bien lourd, — au moins, comme on disait au XVIIe siècle, d’un peu « d’indiscrétion. »


LOUIS GANDERAX.