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Parisiens, au courant des modes nouvelles ; sans doute, ce n’est guère plus qu’une canonique mise à la scène, mais la jolie chronique, le joyeux spectacle ! Et n’est-ce pas vrai que l’auteur, quand il le vaudra, pourra couper sur ce patron, dans une étoffe plus solide, une vraie comédie de mœurs ou même de caractère ?

Au demeurant, il ne nous fâche pas que la Comédie-Française descende à l’occasion de ces hauteurs où elle se guinde ; elle s’est montrée dans ce siècle assez souvent pédante polir qu’on lui pardonne de se récréer un peu. On ne faisait pas jadis tant de difficultés pour rire, et s’il est vrai que cette sorte d’ouvrages, qui plaisent par le détail, ne supportent pas une interprétation médiocre, où M. Pailleron aurait-il trouvé une telle réunion d’artistes pour nous présenter la pièce ? Les moindres rôles y sont tenus d’une façon presque irréprochable, et trois au mains dans la perfection. J’entends désigner ceux de Suzanne, de la douairière et du sous-préfet : — le sous-préfet est le jeune marié dont les baisers sonnent dans les corridors. Mme Samary fait Suzanne : personne, dans ce rôle, ne pouvait paraître plus enjouée, ni plus sensible, ni plus naturellement l’un et l’autre. Mme Madeleine Brohan, qui représente la douairière, est sans rivale à présent pour la clarté de la voix et la netteté de la diction, pour la bonne grâce, l’aisance, l’esprit aimable et le tour. M. Coquelin aîné, dans le personnage du sous-préfet, montre un comique d’une discrétion et d’une prestesse bien rares. On m’a semblé sévère pour M. Got, qui joue Bellac ; on l’a trouvé d’abord trop burlesque et vulgaire : n’a-t-on pas vu bientôt que son rôle le voulait ainsi ? Ce n’est pas ce rôle, un portrait, mais une charge et M. Dupuis, des Variétés, y serait sans doute excellent. Pour M. Delaunay, qui représente Roger, il est, à son ordinaire, un peu plus que parfait : cet excès pourrait bien nous taquiner à la longue. Lorsqu’au troisième acte, ce comédien trop charmant soupire les premières notes de sa cantilène connue, chacun en devine trop aisément la suite : on se désintéresse des paroles quelconques qui vont venir sur l’air de la chanson de Fortunio. Bientôt M. Truffier, un artiste d’avenir, va doubler M. Coquelin, qui part en vacances : si d’aventure M. Delaunay voulait prendre un congé, un de ses jeunes camarades s’essaierait dans son rôle. Lequel ? De le savoir, ce n’est pas mon affaire ; mais c’est apparemment par des épreuves pareilles que la Comédie-Française doit assurer son avenir. M. Émile Perrin l’a mise en trop haut point pour ne pas désirer qu’elle s’y maintienne longtemps : il n’est pas de troupe dans le monde qui eût pu jouer une pièce de ce genre, sans que l’intérêt y languît une minute. Je n’ai cité que les plus fameux et les mieux partagés : Il serait cependant injuste de ne pas nommer au moins M, le Reichemberg, : — fort agréable dans le personnage de la sous-préfète, — Mme Broisat, qui joue Lucy Watson, — et Mme Lloyd, qui n’a eu qu’à se souvenir d’Armande pour représenter fort bien Mme de Céran.