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la pièce : ce Monde où l’on s’ennuie, c’est celui des Femmes savantes, ou, si vous préférez, des Précieuses ridicules, et certes plusieurs scènes, à n’en suivre que le contour, étaient par avance connues de tout le public Le dernier acte même, l’auteur nous en prévient, est renouvelé tout à fait, pour le mouvement des personnages, du fameux dernier acte de la Folle Journée : donc, à l’estimer pour le dehors et dans son ensemble, cette comédie n’offrait aucun attrait nouveau. Mais regardez-en, je vous prie, le détail intime ; ouvrez la boîte, et clignez les yeux : c’est peut-être encore dans les vieux écrins que reposent le plus mollement tes plus délicats bijoux.

En effet, dans une pièce établie de cette façon, ni l’auteur ni le public n’ont à se préoccuper du gros ouvrage. On est tout au menu détail de la décoration intérieure, et, quand l’architecte est celui de l’Étincelle et de l’Age ingrat, je vous laisse à penser si ce détail est d’une exécution curieuse. M. Pailleron, cette fois encore, nous donne des croquis de mœurs, non des peintures de caractères, et, — plutôt que des croquis, — des caricatures ; mais combien amusantes, combien gâtaient troussées ! C’est Philaminte et Armande, mais habillées à la mode de demain ; c’est Cathos, Madelon, et Trissotin aussi, — mais Trissotin, depuis deux siècles, encore poussé dans le monde : il a profité des leçons de Tartufe ; il est le Tartufe élégant de la métaphysique éloquente. Et quelle compagnie de réjouissans bonshommes, auprès et tout autour des personnages principaux, depuis « le savant dont le père a eu tant de talent, » jusqu’au général qui déclare « qu’il faut une tragédie pour le peuple ! » Et quelle merveilleuse raquette, pour jeter le bon sens au nez des sots, que celle de cette douairière si française et si gauloise, d’un peu verte allure peut-être, comme tant d’autres douairières de roman ou de comédie, mais qui rompt si joliment le colloque de Roger et de miss Watson sur les monumens funéraires de l’Asie occidentale en leur disant : « Voyons, vous marivauderez quand vous serez seuls ! » Et que de bons mots partout, les uns attachés à leur place, les autres tout prêts à être détachés et transportés, aucun cependant inopportun ni superflu ; quelques-uns précieux, quelques-uns vulgaires, la plupart excellens, mais tous faciles ou du moins qui le paraissent, tous jaillis d’une bonne humeur qui ne se tarit jamais ! Quant aux jeux de scène divertissans, il faut renoncer à les compter ; mais l’aimable invention que les baisers de ces nouveaux mariés, qui s’embrassent dans les coins de cette maison sévère et compromettent à leur insu tous les couples qui passent ! L’impayable trouvaille que le va-et-vient de cette porte, qui séparé la scène du salon où se lit un Philippe Auguste, si bien que chaque fois qu’elle s’ouvre, cette porte protectrice, il nous vient une volée d’hémistiches, une bouffée de tragédie ! Sans doute, cet art est le moyen et non le grand : l’auteur n’a prétendu qu’à cous amuser un temps, nous les