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moment, est nourrie d’e muets ! M. Lacressonnière, en Louis XIV, a plus de bonhomie que de majesté ; vous savez à quel style est accoutumé le pauvre homme : échappé de l’Ambigu, il a peine à se faire entendre de MM. Chelles et Paul Monnet. Ceux-ci, par leur belle voix et leur diction généreuse, ont ravi dès le premier soir les suffrages du public.

Aussi bien l’accord entre les lettres et le théâtre, qui semblait compromis, depuis un demi-siècle, par l’abus de l’intrigue et du manège scénique, cet heureux accord, cette nécessaire entente paraît de voir se raffermir par la génération qui se lève. Même la haute comédie menaçait de tourner au vaudeville, — au vaudeville pathétique, le plus méchant de tous ; — le goût de l’observation et celui du style devenaient des suspects qui devaient se cacher ; une tribu de lévites gardait religieusement l’arche trois fois sainte des « lois du métier. » Ces lois, personne n’en connaissant la lettre ; mais l’esprit, manifesté par une jurisprudence jalouse, en était rigoureux tout autant que timide : codifiées, elles eussent formé comme une mécanique théâtrale, à laquelle aucune œuvre ne devait se soustraire, et, selon qu’elles étaient obéies ou négligées, le premier venu prononçait hardiment : « Ceci est du théâtre et cela n’en est pas. »

Or le soupçon peu à peu s’est glissé dans les esprits que l’arche était vide comme ces précieux fourgons que le général Bonaparte, pendant la campagne d’Italie, appelait habilement « le trésor de l’armée. » On ne prétend pas faire du théâtre sans situations, pas plus qu’on ne demande aux acteurs de se tenir au-dessus de terre ; mais de même qu’on ne les prie pas de se disloquer ni de faire la culbute, de même on prétend ne plus varier les situations par des séries d’événemens qui s’enchevêtrent et se précipitent. Des jeux de physionomie et quelques gestes, voilà tout le mouvement que l’on exige des comédiens, assis ou debout sur un plancher solide : dans une situation bien nette, sûre et tout unie, établissez des caractères ; montrez sans hâte, sans contrainte ni trouble, comment ces caractères, rais en présence, se modifient ; faites-les se confesser en français tout simplement : — le public, bon prince, n’en demande pas davantage ; vous aurez son estime, voire même son argent.

Il est vrai que ce jeu-là est plus difficile que l’autre ; pourtant quelques-uns, même parmi les jeunes gens, n’y sont déjà pas maladroits : — et tenez, sans parler de MM. Mailhac et Halévy, qui mieux que personne aideront à remettre la comédie dans le bon chemin, voici M. Abraham Dreyfus qui sortait de l’Odéon juste au moment où M. Coppée y entrait. Il a fait représenter, le mois dernier, sur cette scène, une petite, bien petite pièce, que je vous engage à lire. Une grande suivait, qui n’était pas de lui, et dont la chute, hélas ! a écrasé la sienne ; mais le Klephte, à présent, mérite d’être noté comme un bon document de l’évolution que je signale. Nulle intrigue en broussailles, nul défilé où l’on force les personnages à passer : un terrain