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émotion désagréable en apprenant tout à coup qu’elle était obligée de faire campagne en Tunisie pour mettre à la raison un bey fantaisiste et têtu que les meilleurs argumens laissent insensible. Elle n’a pas songé à s’en prendre à ses gouvernans. Elle leur a rendu cette justice qu’ils avaient tout fait pour lui épargner ce déplaisir, qu’ils avaient été pleins de longanimité et de patience, mais qu’il y a des insultes et des défis auxquels il faut répondre, sous peine de n’être plus que l’ombre d’un homme ou d’un peuple. La seule faute qu’ils aient commise, si c’en est une, est d’avoir trop attendu. Ils ont cru qu’ils arrangeraient tout par des paroles, qu’ils pourraient se dispenser d’en découdre, et peut-être n’ont-ils pas préparé d’assez loin leur action. Ils craignaient d’inquiéter le pays, ils se demandaient : « Qu’en penseront les électeurs ? » La crainte de l’électeur est le commencement de la sagesse, ce n’est pas la sagesse tout entière. La France est résolue à n’attaquer personne, elle ne l’est pas moins à se défendre, et c’est une guerre défensive qu’elle est obligée de faire en Afrique. Les malveillans qui disent le contraire ne réussissent pas à persuader l’Europe et ils ont bien de la peine à se persuader eux-mêmes.

Un propriétaire qui, à force de labeurs, de dépenses, de soins, est parvenu à se créer un vaste et beau domaine, a le droit d’exiger qu’on respecte son bien, et s’il a par malheur un voisin enclin à la maraude, on ne lui en voudra pas de crier haro sur le pillard et de lâcher sur lui ses garde-chasses. A tous ceux qui désirent se former sur la foi d’un juge absolument désintéressé une idée exacte des sacrifices que s’est imposés la France pour civiliser ses possessions algériennes, on ne peut trop recommander la lecture d’un livre dont il a été parlé déjà dans la Revue et dont l’auteur est un voyageur russe du premier mérite, qui fait autorité[1]. M. de Tchihatchef a rapporté d’Afrique la conviction que « l’œuvre accomplie par la France en Algérie n’a été surpassée nulle part et qu’elle a été égalée très rarement. » Un autre juge, dont l’impartialité est moins suspecte encore, le célèbre explorateur allemand M. Rohlfs, a déclaré de son côté que « quiconque a pu voir, comme lui, les prodigieux travaux exécutés par les Français en Algérie, n’éprouvera qu’un sentiment de pitié pour ceux qui oseraient encore prétendre que les Français ne savent pas coloniser. » Doter un pays barbare de voies ferrées et de plus de 7,000 kilomètres de routes ou de chemins de grande communication, y construire des ponts, des phares, forer dans le Sahara des puits artésiens qui font jaillir du désert plus de 25,000 mètres cubes d’eau par jour, dépenser des sommes considérables pour assainir les terrains marécageux et pour irriguer plus de 50,000 hectares, fonder plusieurs villes florissantes, bâtir près de

  1. Espagne, Algérie et Tunisie, lettres à Michel Chevalier par P. de Tchihatchef, correspondant de l’Institut de France ; Paris, 1880.