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La bouture à plusieurs yeux, incertaine, impossible pour certaines variétés supérieures, manque d’ensemble dans sa constitution. La longue partie de vieux bois ralentit par sa texture le va-et-vient vital entre les deux nouvelles productions herbacées, tige et racine, tandis que la bouture à un œil, qui ne conserve du vieux bois que ce qu’il en faut pour jouer un rôle assimilable à celui des cotylédons dans les graines, permet à la circulation de s’établir dès le premier jour entre vaisseaux de texture absolument homogène. La bouture à un œil coûte moins de bois, prend moins de place et donne un plant plus abondamment fourni de racines que de tiges ; circonstance assurant au jeune plant vigueur et précoce fertilité.

Voyons maintenant par quels procédés et en vertu de quelle théorie ce plant peut être obtenu.

La dureté du bois et la fraîcheur de la terre ralentissent le mouvement vital, qu’accélèrent, au contraire, la lumière et la chaleur. Le bourgeon se met donc en mouvement avant que la racine ait le temps de se former dans un élément plus froid. Ce manque d’ensemble dans le réveil de la végétation est sans inconvénient pour les espèces qui s’enracinent facilement, car tôt ou tard les racines se forment et viennent au secours de la tige pour la nourrir, témoin les boutures européennes, celles des labruscas ou riparias. Mais, dans les variétés à bois dur, la tige se développe et absorbe toute la sève avant la naissance de la racine ; elle prospère et s’allonge tant que le bois peut la nourrir ; puis, quand elle ne trouve plus d’aliment, elle se flétrit, sèche, et emporte une illusion.

Le but à atteindre est celui-ci : intervertir les températures naturelles pour hâter le développement de la racine et ralentir celui du bourgeon, préparant ainsi à l’avance un approvisionnement régulier de la sève qui doit fournir les élémens nécessaires au développement du bourgeon et de la tige. Théoriquement, cela semble facile, mais dans la pratique il est très difficile de régler une chaleur souterraine uniforme, que ce soit en serre ou sur couche, il est très difficile de maintenir l’air frais et suffisamment humide, pour ne pas favoriser un trop grande évaporation par les feuilles, sans pourtant favoriser l’existence des cryptogames qui guettent ces jeunes plantes, vertes au matin, noires et pourries au soir, si la chaleur de midi a coïncidé avec un excès d’humidité.

Cette fabrication industrielle des plants, avec des hommes capables et spéciaux, dans des locaux appropriés, est une nécessité, car la petite culture ne peut produire au prix où les grands établissemens peuvent vendre. La grande propriété aura tout avantage a produire elle-même les plants dont elle a besoin, car, d’une part, elle dispose gratuitement de la matière première dans les rebuts