Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers la région montagneuse, en tournant toujours sa concavité vers le ciel. Les matériaux entraînés descendent ainsi de moins en moins vite et cheminent sur une série de plans inclinés de plus en plus adoucis ; ils subissent dans ce trajet un broyage mécanique qui les transforme, les arrondit et finit par les réduire en poussière. Ainsi, dans la partie supérieure du fleuve que l’on pourrait appeler le torrent proprement dit, ce sont des blocs de radier ; dans la zone intermédiaire, qui est le canal d’écoulement flottable ou navigable, ce sont des galets ; dans la région maritime, le broyage est terminé ; on n’a plus que du sable et du limon.

Arles se trouve à peu près à l’entrée de la région maritime du Rhône. Le fond du fleuve y est en effet formé de sable et de vase seulement ; on n’y trouve plus ni galets ni gravier. Ceux-ci s’arrêtent brusquement vis-à-vis du mas des Tours, à 10 kilomètres après Beaucaire, à 6 kilomètres en amont d’Arles. De ce point jusqu’à la mer, le fleuve glisse lentement dans un véritable lit de boue.

Il est ordinairement assez difficile de fixer d’une manière précise quel est le point d’un fleuve où commence cette région maritime. Cette désignation est même par sa nature assez vague. Dans les rivières à fort courant, l’influence de la mer ne se fait sentir qu’à une faible distance au-dessus de l’embouchure. D’autre part, lorsqu’il n’existe pas de barrage qui détermine une barrière infranchissable entre les eaux douces et les eaux salées, celles-ci remontent quelquefois à une très grande distance dans l’intérieur des terres. On sait par exemple que le mouvement de la marée a pour résultat de faire gonfler les eaux de la Gironde à plusieurs kilomètres en amont de Bordeaux.

Il en est autrement pour le Rhône, dont le courant est assez rapide et qui débouche dans une mer inerte. Les eaux salées ne pénètrent pour ainsi dire pas dans le fleuve, c’est plutôt celui-ci qui pénètre dans la mer ; il s’y enfonce d’abord, puis s’y étale à une distance souvent très grande du rivage, et, pendant les temps calmes, dessine une immense traînée laiteuse qui tranche d’une manière fort nette sur le bien profond de la Méditerranée.

Géologiquement, la région maritime d’un fleuve commence à l’origine même de son delta. Pour le Rhône, ce point est à la hauteur de Beaucaire et de Tarascon. C’est un peu en aval de ces deux villes, qui se font vis-à-vis, que les eaux de la Durance, réunies à celles du Rhône, se jetaient autrefois à la mer dans renfoncement d’un golfe comblé, depuis l’origine de notre période quaternaire, par les dépôts diluviens et recouvert postérieurement par les alluvions des deux fleuves.

Des cartes relativement récentes et ne remontant guère qu’au