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d’un bien beau passé. » Ce silence prématuré nous a privés sans doute de bien des pages charmantes ; fut-il, cependant aussi regrettable qu’on l’a mainte fois prétendu ? Nous dirons plus loin ce qu’il en faut penser, mais disons tout de suite qu’il a eu ce bon résultat de laisser à son œuvre un caractère d’unité qu’elle n’aurait sans cela jamais eu aussi complet.

Quand on lit attentivement cette œuvre, on est étonné de voir à quel point l’inspiration du poète a suivi logiquement la marche de la jeunesse, sans la devancer ni s’attarder. Chacune de ses productions correspond directement à la période où elle fut conçue et exécutée, à celle-là et à nulle autre. C’est que, le poète n’ayant jamais chanté que les sentimens qu’il éprouvait réellement, ces sentimens se sont trouvés toujours d’accord avec les dispositions propres à l’âge où il les exprimait. Pendant qu’il écrivait, la vie marquait telle heure, et ce qu’il écrivait alors se ressentait du caractère lumineux ou sombre, orageux ou apaisé de cette heure, aussi naturellement que les plantes ressentent les doses diverses de chaleur ou de fraîcheur qui leur sont distribuées par les diverses heures de la journée. Ce n’est donc que sa personnalité que de Musset a mise dans son œuvre, et pour cette raison, on peut la considérer comme une véritable autobiographie pouvant tenir lieu de celle dont nous regrettions il y a un instant la non-existence ; mais comme la nature ne se comportait pas en lui autrement qu’elle ne se comporte dans le cœur de tout jeune homme, les confessions poétiques de son moi se trouvent marquées par là d’un signe d’universalité qui les purge de tout égoïsme et leur donne un intérêt général qu’aucune autobiographie ne saurait avoir. Ces deux caractères de personnalité et d’impersonnalité sont donc à la fois dans son œuvre, si bien mêlés, confondus et comme tissés ensemble qu’il est souvent fort difficile de leur faire leur part, et de décider si tel détail peint le poète plus que la jeunesse, mais tout critique qui l’étudié, pour peu qu’il soit sagace, s’apercevra aisément de la coexistence de ces deux caractères et devra s’efforcer de ne pas plus les séparer dans ses analyses qu’ils ne sont séparés chez le poète ; tâche difficile que nous allons cependant essayer de remplir.

Toute jeunesse doit d’abord jeter sa gourme ; Alfred de Musset jeta la sienne dans les Contes d’Espagne et d’Italie, qui parurent à la fin de 1829. Le poète avait juste dix-neuf ans, et tous ceux qui l’ont connu alors ont témoigné qu’il était bien à ce moment l’homme de ces poèmes d’allure si tapageuse et si cavalière. C’était à peu près l’époque où quelqu’un qui l’a beaucoup admiré me racontait l’avoir, un soir de première représentation, rencontré au foyer de l’Odéon assis sur un fauteuil et crachant en l’air devant