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ESQUISSES LITTERAIRES

ALFRED DE MUSSET

PREMIÈRE PARTIE.

Certes c’est là un sujet sur lequel nous avons un droit légitime, étant de l’une des trois ou quatre générations dont le poète a été l’idole et l’ayant admiré plus que personne ; toutefois ce n’est pas sans quelque hésitation et quelque défiance de nous-même que nous prenons la plume. Goethe le judicieux, causant avec Eckermann sur ses vieux jours de certains sujets dramatiques qui avaient vivement préoccupé sa pensée, lui déclarait qu’il n’essaierait cependant jamais plus de les traiter. « Il est maintenant trop tard, lui disait-il, non que le temps et le désir me manquent, mais il faut, pour exécuter de tels sujets, une chaleur de tempérament que l’âge me refuse aujourd’hui. Il y a tel ordre de sentimens où l’intelligence ne nous est que d’un secours secondaire et que nous ne pouvons sérieusement exprimer que par l’aide de cette âme physique qui va s’affaiblissant en nous toujours davantage à mesure que s’écoulent les années. » Je crains fort que l’observation de Goethe ne soit vraie pour d’autres sujets que des sujets dramatiques et qu’elle ne s’applique à toute matière où sont intéressées ces facultés mixtes qui font si voisines