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s’y rendre les maîtres tout à fait, et supportèrent avec peine la minorité, pourtant impuissante, de membres nommés qui lui était adjointe ; l’administration débonnaire, réduite à une action illusoire, s’impatienta de conserver aux yeux du pays une responsabilité qui n’avait, pour ainsi dire, plus d’objet. Ce régime incertain auquel on était revenu, par lassitude, en ces temps derniers, n’a jamais donné une satisfaction franche ni aux intérêts des artistes, ni aux intérêts de l’art. On s’y est toujours agité mal à l’aise, comme dans un lit mal fait.

On traîna ainsi jusqu’en 1870. À cette époque, la création d’un ministère des beaux-arts réveilla les espérances des mécontens et les aspirations des réformateurs. La France commençait à renaître aux désirs de liberté. Le bruit courut vite dans les ateliers et les écoles que le nouveau ministre offrait aux artistes l’indépendance. Il ne s’agissait que de s’entendre pour en user. On s’agita, on se réunit, on discuta, on pétitionna ; quelques-uns exhumèrent les vieux plans de réforme de 1793 et de 1848, lesquels impliquaient, en général, la soumission absolue de l’état, dont les caisses seraient toujours ouvertes, à la volonté absolue des artistes, dont les mains seraient toujours remplies. Parmi tant d’élucubrations excentriques, un projet sérieux et pratique, soigneusement élaboré par un homme d’expérience spéciale, joignant à la connaissance profonde du passé l’amour éclairé du présent, obtint l’adhésion du plus grand nombre. Le projet d’une Académie nationale des artistes français, plus largement ouverte encore que l’ancienne Académie royale, n’ayant d’autres privilèges que la concession d’un local pour ses expositions, mais formant une association active en mesure de gérer les affaires de la communauté, se couvrit avec rapidité de quatre cents signatures. Les noms des plus illustres membres de l’Institut y figurent en tête à côté des noms des réformateurs les plus bouillans. Malheureusement, le projet resta sur le papier, et, comme le temps pressait, le ministre, ne trouvant personne à qui remettre cette liberté qu’il offrait de grand cœur, dut prendre, comme toujours, des mesures pour ouvrir le Salon. Toutes barrières d’ailleurs furent renversées. Le jury, composé exclusivement d’artistes élus par tous les anciens exposans, admit, presque en bloc, tout ce qu’on lui offrit. L’exposition de 1870, par ses discordances fatigantes, rappela, à quelques drôleries près, le bazar incohérent de 1848. Personne ne douta à ce moment que l’expérience ne fût concluante et que l’état ne dût, s’il était obligé de garder la responsabilité du Salon, afin de lui rendre son ancienne splendeur, apporter dans l’organisation des changemens sérieux.

Les événemens de 1870-1871 retardèrent d’un an l’ouverture