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peintres seuls, toujours plus intéressés que leurs confrères dans la question du Salon, paraissent avoir poursuivi leur projet. Après dix mois de discussions, ils parvinrent à rédiger leurs statuts le 4 janvier 1849. La corporation des peintres, fidèle à ses traditions d’empiétement, y déclare résolument que les encouragemens de l’état lui sont dus. « Art. 2. La section de peinture est juge et doit être consultée en tout ce qui concerne l’art de la peinture, aussi bien dans l’appréciation des questions d’art que dans ce qui touche à la dignité des artistes. — Art. 4. Nul ne doit participer aux encouragemens de l’état qu’en vertu de droits acquis déterminés par la section de peinture. » Il va sans dire que la corporation seule avait le droit de décider les acquisitions de l’état et de désigner les artistes méritant la croix d’honneur. Tous les artistes non admis au Salon par son jury n’avaient plus le droit d’exister aux yeux de l’administration. La vieille Académie royale était dépassée, et, dans la naïveté de son inexpérience, l’assemblée des peintres s’arrogeait sans hésitation, d’un seul coup, au nom de la démocratie et de la liberté, plus de privilèges que n’en avaient rêvé Lebrun et David pour les corps où ils régnaient. Le comité qui avait signé ces statuts avait pour présidens Decamps et Eugène Delacroix ; pour vice-présidens Léon Cogniet, Corot, Drolling, Armand Leleux, Célestin Nanteuil ; pour secrétaires Boissard, Dauzats, Gérôme, Jollivet, Lazerges, Henri Lehmann, Ch. Lefebvre, Justin Ouvrié, Pérignon, Riesener.

Le gouvernement cependant n’avait pu attendre pour ouvrir le Salon. Les objets d’art, au 24 février, étaient déjà déposés au Louvre. Le ministre de l’intérieur, Ledru-Rollin, décida que tous les ouvrages, sans exception, seraient exposés ; il y en avait cinq mille cent quatre-vingt-un. La commission de placement fut élue en assemblée générale. Avec une droiture qui honore les artistes français et qu’on retrouve chez eux chaque fois qu’il s’agit d’une mesure sérieuse à prendre en dehors des discussions stériles où triomphent trop souvent les médiocrités turbulentes, ils firent ce qu’avaient fait leurs ancêtres de 1791 : ils élurent en tête ceux de leurs maîtres dont ils admiraient le talent, respectaient le caractère et connaissaient l’équité, quelle que fût, d’ailleurs, leur école, qu’ils fussent ou non de l’Institut. Léon Cogniet passe le premier et, l’élévation méritée de Couture et de Théodore Rousseau n’entraîne pas même la chute d’Abel de Pujol et de Brascassat, deux des académiciens les moins populaires. Cette commission empila, aussi bien qu’elle put, dans le Louvre, la masse confuse d’objets qui lui fut livrée : « Le Salon, dit Thoré, l’un des plus ardens propagateurs du mouvement, offre un spectacle excessivement curieux. Il y a là des tableaux comme on n’en a jamais vu chez les vitriers de campagne,