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ses plaintes, de ses exigences, de ses prétentions. D’autre part, l’état, préoccupé comme il doit l’être des seuls intérêts publics, mais imprudemment engagé dans la vague responsabilité d’une protection générale dont les limites reculent chaque jour, s’efforcera, par soubresauts, de ressaisir l’autorité qu’il a laissé perdre, de résister au débordement des médiocrités qui l’exploitent, de rendre à son patronage sa dignité, sa valeur et son utilité. Le malaise qui résulte de cette situation fausse va se traduire en traits de plus en plus nets dans les oscillations périodiques que subira le règlement du Salon, à partir de la révolution, tantôt dans le sens de l’état, tantôt dans le sens des artistes, suivant le courant des mœurs, de la politique ou de la mode.

Le gouvernement républicain s’était efforcé d’abord de sauver le principe de la liberté absolue en laissant le Salon ouvert à tous venans. « Les concours vraiment utiles, dit l’avant-propos de 1795, sont les expositions publiques et sans exception. Si elles ont l’inconvénient d’entendre quelquefois se mêler dans ce concert quelques voix faibles et discordantes avec d’excellens chanteurs, il est léger pour le bien qui en résulte. C’est aux ordonnateurs de ces sortes d’expositions à jeter ces faibles voix dans les chœurs et à faire jouer des solo aux grands virtuoses. » Les principes inflexibles du législateur ne résistent pas, on le voit, à la force des choses ; sa logique, sans qu’il s’en doute, cède vite à sa raison. Faire jouer des solo par les grands virtuoses, n’est-ce pas faire le choix qu’on s’était interdit, n’est-ce pas présenter au public dans de meilleures conditions les ouvrages les meilleurs, n’est-ce pas, en un mot, faire acte de préférence ? Que cette préférence s’exerce par l’intermédiaire d’un jury administratif ou d’un jury électif, ce n’en est pas moins un acte d’autorité. Cet acte d’autorité est-il légitime et nécessaire ? Ainsi l’ont dû penser tour à tour, éclairés par l’invincible nécessité, tous les gouvernemens qui se sont succédé dans notre pays ; ainsi l’ont dû penser les artistes eux-mêmes chaque fois qu’ils ont organisé eux-mêmes le Salon. Les reproches de partialité, d’arbitraire, d’exclusivisme n’ont guère été moins vifs, lorsqu’ils s’adressaient à un jury exclusivement composé d’artistes élus que lorsqu’ils s’adressaient à un jury administratif. Ce dernier, dont la compétence, s’il est mal choisi, peut être mise en doute, reste, en tout cas plus désintéressé dans les questions d’écoles et de personnes. L’année suivante, en 1796, le ministre Benézech est tellement assailli de plaintes sur la médiocrité du Salon qu’il pense à rendre les expositions biennales comme sous l’ancien régime. En 1798, François de Neufchâteau, qui organisait alors notre première exposition nationale d’industrie, rétablit un jury d’admission. En 1799, il se voit forcé de revenir sur cette mesure ; mais il en avertit le public et