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leur a donné un caractère qui les distingue, s’ils sont vraiment révolutionnaires. » Quelques-uns des jurés portent la logique du principe jusqu’à déclarer que les récompenses doivent être surtout données à ceux des concurrens qui sont sortis du programme, comme ayant., plus que les autres, l’esprit révolutionnaire. Fleuriot va jusqu’à s’indigner que les concurrens « aient, avec une lâche complaisance, suivi l’esclavage du programme. »

Quant au jury appelé à décerner, pour la première fois, des récompenses à la suite du Salon de 1793 (il n’y a pas trace de récompenses aux anciennes expositions de l’Académie), il fut élu par les artistes exposans avec un mandat illimité. Nous voyons les mêmes membres fonctionner pendant quatre ans sur l’invitation du ministre de l’intérieur. C’étaient Vien, David, Gérard, Bienaimé, Thibault, Meynier, Allais, Vernet, Vincent, Naigeon, Fragonard, Giraud, Berthellemy, Redouté, Morel-Darleu. Ils se plaignent immédiatement du petit nombre de médailles mis à leurs disposition, quoique le ministre en accordât trente pour la seule section de peinture. Ces médailles étant de sept classes, leur distribution devait donner lieu à des difficultés de toute sorte. Ce fut ce jury, composé, comme on le voit, des chefs de l’école, que François de Neufchâteau consulta lorsqu’il entreprit la réorganisation administrative du service des lettres, sciences et arts. Il leur demanda entre autres leur avis sur la formation du conseil chargé de fixer les sujets pour les commandes de l’état et d’en surveiller l’exécution. Le jury répondit nettement qu’il ne fallait point de contrôle et crut « devoir représenter au ministre que forcer un artiste de se soumettre à une direction étrangère, ce serait paralyser les élans du génie. » F. de Neufchâteau répliqua sur-le-champ que, puisqu’il en était ainsi, « il croyait de voir décider lui-même la question. » — « Ce n’est pas un problème difficile à résoudre, ajoute-t-il dans une lettre assez verte, que de savoir si les arts doivent être dirigés de manière à répandre les principes et les institutions du gouvernement qui les salarie et les honore. Tout gouvernement a la faculté, en proposant des prix, de mettre des conditions à ses bienfaits et de fixer les dispositions relatives à son sujet, à son exécution… Les artistes, depuis la révolution, qui a tout fait pour eux, n’ont presque rien fait pour elle… » A la suite de cette correspondance, le jury disparut, et le ministre seul se chargea du Salon.

On voit, par cette première rupture, quelles seront les causes fatales des difficultés sans cesse renaissantes, sous tous les régimes, entre les artistes et l’état. D’une part, la masse croissante des artistes, n’ayant plus de points d’appui fixes au dehors, s’accoutumera de plus en plus à considérer l’état comme le gérant responsable et obligatoire de ses intérêts, et le fatiguera par instans de