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s’est rendu coupable d’ingratitude. » C’est là qu’on agite également la réforme du costume national, qui doit être à la fois plus commode et plus beau que le costume en usage, mais unique cependant, pour toutes les classes de citoyens ; on hésite longtemps avant de savoir si l’on prendra pour modèle les habillemens grecs, étrusques, romains ou arabes. On finit par mettre la question au concours et par décider qu’on ne se présentera devant la convention qu’avec un costume fait et composé. Rien ne donne comme ces discussions étranges à propos des arts, discussions toujours animées, quelquefois éloquentes et lumineuses, une idée saisissante de l’exaltation des esprits dans cette extraordinaire période. Des élans admirables d’imagination s’entremêlent aux arguties les plus subtiles ; des idées simples, vives et sensées se heurtent, dans le fracas d’un langage toujours déclamatoire, aux rêveries les plus naïves, avec un accent de sincérité et de bonne foi qui, en somme, ébranle et émeut. Dans ces têtes agitées par l’angoisse universelle, soit que la passion patriotique ou révolutionnaire les brûle d’une flamme héroïque, soit qu’une terreur concentrée les trouble et les affole, bouillonne une prodigieux afflux de sensations et de pensées qui s’échappe, au moindre choc, en paroles retentissantes. Il n’est projet si gigantesque, ni théorie si imprévue que ces âmes surexcitées et presque toutes enivrées d’une imperturbable confiance dans l’avenir n’accueillent avec enthousiasme. Ces hommes, nourris de l’antique, trouvent souvent des mots antiques. Quelqu’un ayant proposé un jour de demander à la convention 60,000 livres pour acheter des moulages d’après les statues du Vatican, un autre membre déclare qu’il est inutile d’imposer à la patrie une si lourde dépense : « Nous serons maîtres de Rome à la campagne prochaine, et nos victoires nous assureront la jouissance de tous ces chefs-d’œuvre ! »

La Société républicaine et populaire, malgré son patriotisme violent, ne fut pas appelée à prendre une part directe dans l’organisation des expositions. Pour le concours même des élèves qu’on eut alors à juger, la convention nomma elle-même le jury ; elle ne prit dans la société que vingt-cinq artistes et leur adjoignit, en nombre égal, des littérateurs, des savans, des acteurs, un cultivateur, un cordonnier. Afin de rappeler aux artistes les principes qui devaient les diriger, Ronsin, commandant-général de l’armée révolutionnaire, Hébert, substitut du procureur de la commune, Fleuriot, substitut de l’accusateur public, en firent aussi partie. Les interminables discussions auxquelles donna lieu ce concours sont la partie la plus curieuse du journal de Détournelle. « Les artistes vont être aujourd’hui jugés autrement que par l’Académie, leur avait dit le président Dufourny ; il s’agit de savoir si la révolution