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anciens membres de l’Académie d’avoir parfois cédé aux entraînemens de leur situation privilégiée. Il est certains courans de mœurs ou d’idées contre lesquels les individus isolés et clairvoyans protesteraient vainement et qui emportent fatalement les décisions de toute assemblée. L’Académie, à qui on laissait une ombre d’existence, ne se fit d’ailleurs pas illusion. On l’avait chargée d’examiner les ouvrages présentés ; sur sept cent quatre-vingt-quatorze, elle n’en écarta que deux ! En 1789, l’exposition, faite par les seuls membres de l’Académie, avait été de trois cent cinquante objets ; elle fut doublée par cette libre admission. C’est la proportion qui se retrouvera, presque toujours, entre les expositions triées et les expositions en bloc ; en 1847, deux mille sept cent trente objets avaient été acceptés par l’Académie ; en 1848, tout jury ayant été supprimé, on en aura cinq mille cent quatre-vingt-un. Il faut arriver à l’étonnante production de ces dernières années pour voir le jury forcé d’écarter les deux tiers des ouvrages présentés. Le Salon de 1791 parut, cela va sans dire, un peu mêlé, mais donna l’état exact de la valeur de l’art français. « J’y vis du sublime, du beau et du bon, du médiocre, du mauvais et de la croûterie, dit Wille le graveur ; enfin le concours est prodigieux, et chacun promulgue son sentiment. » Les événemens de 1792 empêchèrent l’ouverture du Salon, qui avait lieu alors en août et septembre (sous l’ancien régime, il s’ouvrait d’ordinaire le 25 août, jour de la Saint-Louis, et durait jusqu’au 1er octobre). Le 18 juillet 1793, la convention décréta décidément l’abolition de l’Académie de peinture et de sculpture comme de toutes les autres académies. A sa place, on constituait une Commune générale des arts ouverte indistinctement à tous les artistes. Pendant qu’on se battait à la frontière, la Commune générale ouvrit courageusement le Salon, qui contenait six cent vingt-huit tableaux, cent quatre-vingt-deux sculptures, vingt-quatre dessins d’architecture. « Il semblera peut-être étrange à d’austères républicains de nous occuper des arts quand l’Europe coalisée assiège le territoire de la liberté. Nous n’adoptons point cet adage connu : Inter arma silent artes. Nous rappellerons plus volontiers Protogène traçant un chef-d’œuvre au milieu de Rhodes assiégée, ou bien Archimède méditant sur un problème pendant le sac-de Syracuse. De pareils traits portent avec eux un caractère sublime qui convient au génie, et le génie doit à jamais planer sur la France et s’élever au niveau de la liberté. » L’aspect de l’exposition ne contredisait pas ces hautaines déclarations. Tous les artistes, les ci-devant académiciens en tête, avaient voulu y paraître. Les tableaux patriotiques ou d’actualité y tenaient d’ailleurs petite place. Plus la crise révolutionnaire et patriotique devient âpre et douloureuse, plus l’imagination des artistes, par une