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comme une grande famille ouverte et active où, maîtres et élèves, vieillards et adolescens, travaillaient en commun, discutaient en commun, vivaient en commun. La féconde pensée, sans cesse échauffée par des rapports intimes et quotidiens, qui animait tout ce monde, était celle de maintenir par une émulation constante la supériorité de l’Académie. On sait quelle habileté technique, quelle liberté d’action, quelle unité d’esprit cette sérieuse éducation assura pendant cent cinquante ans à l’école française.

L’une des grandes forces de l’Académie était la constitution d’une hiérarchie ingénieusement graduée qui offrait à tous, depuis les débuts jusqu’à la fin de la carrière, un aliment constant pour leur ambition. D’abord simple agréé, puis académicien en titre, ensuite adjoint à professeur, professeur, adjoint à recteur, recteur, tout peintre ou sculpteur pouvait espérer devenir encore, par l’élection ou l’ancienneté, trésorier, secrétaire, chancelier, directeur. Sur le déclin de sa vie, il prenait place parmi les conseillers et anciens. Le nombre des académiciens étant illimité, l’entrée du corps était ouverte à tous les artistes de talent, sans distinction de genre, d’âge, de sexe ni même de nationalité. Antoine Coypel est élu à vingt ans ; trois ans après, il est déjà adjoint à professeur. Mme Girardon (Catherine Duchemin) est la première femme admise en 1663. M. le Boullongue et Mlle Chéron le suivent de près. L’Italienne Rosalba Carriera était de l’Académie. La Hollandaise Marguerite Havermann, « peinteresse de fleurs, » y fut reçue en 1722, mais, comme elle chercha à éluder les obligations des statuts, elle en fut impitoyablement exclue en 1723, malgré sa jeunesse, malgré son titre d’étrangère, « malgré de fortes recommandations, » dit le secrétaire Hulst. Sur ce point seul, l’Académie finit par craindre l’envahissement. En 1770, on fixa à quatre le nombre des académiciennes ; c’étaient, au moment de la révolution, Mmes Coster-Valayer, Roslin-Giroust, Vigée-Lebrun, Labille-Guyard.

Le désintéressement des académiciens n’est pas, en général, moins remarquable que leur dévoûment à l’œuvre commune. La plupart étaient pauvres, résignés à l’être, et l’Académie, qui leur prenait leur temps, leur prenait encore leur argent. La gêne y fut continue. La subvention royale, les droits d’entrée imposés aux nouveaux élus proportionnellement à leurs ressources, les cotisations annuelles des titulaires, la modeste rétribution demandée aux élèves tant qu’on ne put les accueillir gratis, ainsi que le voulaient les statuts, tout passait aux modèles, huissiers et concierges, à l’entretien des salles, à l’éclairage, au chauffage, à la distribution de grands prix et de petits prix. Quand la caisse était vide, on faisait appel à la générosité des plus riches. Dès qu’elle se remplit un peu mieux, on donna des pensions aux élèves indigens. Jamais pourtant ces naïfs artistes,