Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M, Lenoir : « Je sens que c’est en vain qu’on entreprendrait de s’opposer à ce torrent de brochures méchantes ou insipides ; il faut donc le laisser s’écouler en se bornant à l’épurer… Au reste, et fort heureusement, dans un mois d’ici, il subsistera à peine trace de ce débordement. » Les prédécesseurs de M. d’Angiviller, M. Lenormand de Tournehem et M. de Marigny avaient, à plusieurs reprises été suppliés par l’Académie d’intervenir. « Je suis bien fâché, répond. M. de Tournehem en 1748, que des sottises pareilles puissent chagriner nos peintres, mais la meilleure réponse qu’il y aurait à faire serait de les mépriser. » M. de Marigny leur avait mieux prêté l’oreille. Sur une lettre de Cochin, le 17 septembre 1765, qui lui demande, d’exiger la signature de tous les auteurs de critiques sur le Salon, il écrit en marge : « J’attends la critique et j’écrirai ce qu’il faut à M. de Sartiges. » Ses ordres ne furent pas bien rigoureux pourtant, car on a, de cette année même, plusieurs libelles anonymes. Quelques années après, Cochin, directeur de l’Académie, déjà aguerri ou mieux avisé, prenait enfin le bon parti. Comme il avait bec et ongles, il rendit aux mauvais plaisans la monnaie de leur pièce et mit les rieurs de son côté en répliquant par la Réponse de M. Jérôme, râpeur de tabac et riboteur, à la brochure de Daudé de Jossan, Lettre de M. Raphaël, peintre de l’Académie de Saint-Luc, entrepreneur général des enseignes de la ville, faubourgs et banlieues de Paris, sur les peintures, gravures et sculptures qui ont été exposées cette année au Louvre. La plupart des brochures écrites alors sur le Salon brillaient plus, il faut le dire, par la gaité que par le respect des convenances. La bizarrerie du titre, la verdeur du langage, la vivacité des plaisanteries étaient les appâts ordinaires que tendaient les folliculaires à la curiosité publique. On ne distinguait pas bien encore, dans ce premier exercice de la liberté d’écrire, ce qui est permis à la critique de ce qui lui est interdit, et des grossièretés ordurières ou calomnieuses y compromettent volontiers les observations justes ou spirituelles même chez les moins légers. Toutefois il serait fâcheux pour nous que Cochin et ses confrères eussent fait mettre au pilon tout ce papier noirci ; car de ce fatras confus jaillissent souvent des lueurs inattendues qui éclairent vivement les mœurs du siècle, et nous y suivons, sous des formes vivantes, l’agitation qui accompagnait déjà, dans la société française, la renommée des artistes.

Ces brochures, jointes aux documens déjà cités, fourniraient à foison de singuliers détails et des anecdotes piquantes sur le monde des arts au XVIIIe siècle. Il ne convient pas de s’y arrêter ici. Un fait, bien plus important, qui ressort avec éclat de la lecture de toutes ces pièces au grand honneur de la vieille Académie, c’est la continuité pendant deux, siècles de son action consciencieuse et